Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/758

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ne remonte qu’à quelques semaines. Pour tout ce qui s’est passé à Viornes et à Gavres, pour les incidents de notre voyage commun de Gavres à Paris, nos personnalités sont certainement distinctes… avec une réserve cependant… C’est que nous n’avons la plénitude de nos forces et de nos facultés que lorsque nous sommes réunis. Dès qu’on nous sépare, nous nous affaiblissons, le timbre de nos voix change, nos mémoires sont moins sûres, nos pensées moins vives et moins complètes, notre sensibilité atténuée, notre vue et notre ouïe moins nettes.

Ces paroles désespéraient Augustin de Rougeterre. Il tentait d’échapper à la certitude qu’elles exhalaient et qu’elles faisaient pénétrer au tréfonds de son âme. Il ne voulait pas être convaincu, ou du moins il voulait confusément ne pas l’être si vite. Mais le temps semblait aboli ; une abondance prodigieuse d’impressions envahissait le vieux gentilhomme et trouvait un écho puissant dans son mysticisme.

— C’est bien, — dit-il enfin, avec une sorte de fatalisme, — je vais vous mettre à l’épreuve. Qu’un de vous deux veuille bien me suivre.


L’un d’eux se leva. Augustin le mena, à travers la galerie, dans son cabinet de travail.

Là, il ouvrit un tiroir, choisit un petit album et, à la deuxième page, il montra un dessin à la plume qui représentait une jeune femme.

— Qui est-ce ? — demanda-t-il.

— C’est ma grand’tante Pauline de Rougeterre.

— Et qui a exécuté le dessin ?

— C’est vous-même, mon oncle !

Le dessin n’était pas signé.

Le visage d’Augustin marqua une émotion très douce. Il se pencha brusquement vers le jeune homme et l’embrassa. L’autre lui rendit le baiser avec une tendresse évidente, mais une singulière roideur.

— Voyons, — reprit le vieillard :

Il montra une douzaine de daguerréotypes et de photographies plus modernes : Pierre de Givreuse les reconnaissait toutes. Enfin, avec un petit tremblement, Augustin ouvrit