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Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/773

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— Vous souvient-il ? — murmura timidement le soldat. — C’est ici que nous fîmes notre dernière promenade… avant la guerre… Que de fois je vous ai évoquée, debout sur une pierre rouge… avec vos cheveux presque dénoués… Une barque mince comme un croissant de lune passait à l’occident… le soir venait… déjà les feux d’un phare et ceux d’une étoile se croisaient à travers l’étendue. C’est le plus grand souvenir de ma vie…

Elle tourna vers lui ses beaux yeux celtiques ; l’aveu muet fut plus fort que des paroles. Ils frémissaient de jeunesse, d’ardeur et de rêve…

Mais quand l’autre approcha, Valentine fut saisie d’une angoisse intolérable. Elle eut la certitude que lui aussi l’aimait et qu’il n’y avait aucune raison essentielle pour qu’il fût rejeté. Il y avait de l’horreur, de la pitié, du remords en elle. Tout ce qu’elle pouvait se dire échouait devant un instinct d’autant plus impérieux qu’il demeurait indéfinissable.


Quand ils furent rentrés au château, les deux soldats s’attardèrent dans le jardin sauvage. Celui qui avait parlé à Valentine raconta la scène, comme s’il l’eût répétée à lui-même.

L’autre dit :

— Que faire, maintenant ? Vous avez fixé l’avenir. Un de nous épousera Valentine. C’est nécessaire. Il y a là un bonheur si sain et si fort. Mais que deviendra l’autre ? Est-il possible qu’il souffre ?

— Un autre amour peut le sauver. La vie est innombrable. Il suffit d’une rencontre. Le temps est avec nous… et ses métamorphoses.

Une rauque tribu de freux s’éleva des ruines. Les deux hommes demeuraient silencieux, dans une incertitude tragique.

— Quel est celui qui, désormais, portera jusqu’à sa vieillesse notre nom, et qui aura Valentine en partage ?

— Quel est celui qui n’aura plus de nom… qui sera comme un enfant trouvé… et qui n’aura peut-être aucun amour en partage ?

L’Avenir s’emplit de ténèbres ; ils virent l’horreur de leurs