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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/716

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LA REVUE DE PARIS

investis chacun d’un pouvoir indépendant (même les trois corps anglais, Ministère, Chambre haute, Chambre basse, exercent l’autorité ensemble par une collaboration, non par un partage). La théorie repose au contraire sur une distinction abstraite, entre « la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil ». Elle n’emprunte même pas son principe à quelque réalité politique : elle n’est qu’une théorie juridique.

Il en résulte qu’elle laisse de côté une partie indispensable des opérations réelles de tout gouvernement civilisé. Elle ne tient compte que du « pouvoir de faire ou d’abroger les lois, de faire la paix ou la guerre, d’envoyer ou recevoir des ambassades, de punir les crimes ou juger les différends des particuliers ». Cette énumération suffit à peine à analyser le gouvernement d’un royaume mérovingien où toute la vie politique se réduit à des guerres, des jugements et des édits. Elle oublie la nomination des fonctionnaires, le contrôle de leurs actes, le règlement des recettes et des dépenses publiques, toutes les opérations qui constituent la vie politique de la nation, donnent la force au gouvernement et forment la matière habituelle des décisions de l’autorité souveraine. À ces fonctions fondamentales du gouvernement Montesquieu ne fait guère que des allusions vagues, sans indiquer auquel des trois pouvoirs chacune doit appartenir ; il déclare seulement que la « levée des deniers publics » doit être votée chaque année par le pouvoir législatif, introduisant ainsi dans le droit public cette assimilation artificielle entre la loi et le budget des recettes qui a fini par aboutir à l’expression bizarre de loi de finances employée pour désigner un règlement annuel.

Par contre, il met au nombre des pouvoirs souverains la simple fonction de juger les procès privés, qui n’est qu’une des opérations de l’administration subordonnée au gouvernement général, au même titre que la police ou la perception de l’impôt ; il élève les juges de la condition de fonctionnaire au rang de souverain : il semble qu’il ait pris pour un pouvoir gouvernemental distinct de tout autre l’indépendance personnelle dont le juge a besoin, comme tout fonctionnaire, pour remplir utilement sa fonction.