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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/715

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

actes du gouvernement sont les actes de la reine, la justice même est rendue en son nom. L’action du Parlement était limitée aux lois et au vote des impôts. Mais ce pouvoir même, que Montesquieu appelait le législatif, loin d’être organisé sur le principe de la séparation, ne pouvait fonctionner que par la collaboration constante du roi et du Parlement : la loi était faite en commun par le roi, les Communes et les Lords, le budget par le roi et les Communes.

Ce régime qui durait encore à la fin du xviie siècle venait, au moment où Montesquieu visita l’Angleterre, d’être transformé par les ministres whigs des premiers rois de la dynastie de Hanovre ; il avait pris dans la pratique une forme plus différente encore du système de la séparation des pouvoirs. Les ministres avaient cessé d’être les commis du roi, ils étaient les chefs de la majorité de la Chambre basse. Le ministère, investi à la place et au nom du roi de tout le pouvoir gouvernemental, était devenu en fait une commission permanente de la Chambre des communes désignée par la majorité. Ainsi tous les pouvoirs, pour parler la langue de Montesquieu, se trouvaient confondus dans la Chambre qui les exerçait par l’intermédiaire du cabinet pris dans la majorité ; et tous les actes souverains qui constituent le gouvernement suprême s’accomplissaient non par l’impulsion séparée de trois pouvoirs indépendants, mais par la collaboration continue du ministère et des deux Chambres. Entre la pratique anglaise et la description de Montesquieu il n’y avait qu’un point commun, c’était le nombre trois.

Il n’est pas nécessaire de rechercher si le véritable caractère de la constitution anglaise avait échappé aux observateurs politiques de ce temps ou si Montesquieu a évité volontairement[1] d’en donner une analyse exacte. Mais il faut examiner dans quelle mesure sa théorie de la séparation des pouvoirs correspond aux conditions de la vie politique des peuples civilisés auxquels on a essayé de l’appliquer pendant un siècle.

Le point de départ n’est pas l’observation d’un gouvernement où l’on aurait constaté l’existence réelle de trois corps

  1. C’est ce que pourrait faire soupçonner la phrase énigmatique : « Ce n’est point à moi à examiner si les Anglais jouissent actuellement de cette liberté ou non. Il me suffit de dire qu’elle est établie par leurs lois… »