Aller au contenu

Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/718

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
714
LA REVUE DE PARIS

entrée dans l’imagination publique sous la forme de trois autorités juxtaposées, qu’il fallait maintenir séparées, sans moyen d’agir l’une sur l’autre ou d’opérer de concert. De cette conception est sortie la doctrine qu’on doit exclure de l’Assemblée législative les ministres du pouvoir exécutif. Elle a abouti à un système qui rend impraticable la collaboration des corps souverains, et soulève entre eux des conflits incessants en leur enlevant tout moyen de les terminer à l’amiable, puisqu’elle leur interdisait de se concerter ensemble ou de se contraindre mutuellement.

Il est avantageux de partager le travail entre les employés d’un même gouvernement, de façon à former des groupes distincts chargés chacun d’une seule espèce d’opérations : ces corps spéciaux, officiers, juges, percepteurs, professeurs, ingénieurs, s’acquittent ainsi plus facilement de la fonction spéciale à laquelle ils sont préposés. Mais cette séparation en services n’est applicable qu’à des fonctions subordonnées, dépendantes d’une autorité supérieure ; elle ne peut fonctionner régulièrement qu’à condition d’être dominée par un gouvernement unique qui délimite les fonctions de chaque service, empêche entre eux les conflits, et les oblige à opérer de concert. Il reste donc toujours une part du travail politique qui ne peut être partagée entre des pouvoirs indépendants, c’est précisément celle qui consiste à décider la direction générale où doit marcher la nation et l’emploie à faire de ses ressources. Cette décision peut être prise en collaboration par plusieurs hommes ou même par plusieurs corps, mais il faudra toujours que leurs opérations aboutissent à une décision unique, ou à un conflit, et, en cas de conflit, celui qui aura le pouvoir de faire céder l’autre sera le vrai souverain. Les fonctions subordonnées peuvent être organisées en services séparés, le gouvernement ne peut se constituer sur la séparation des pouvoirs souverains, car il n’y a qu’un seul pouvoir souverain, celui de décider. Il faut donc se garder de confondre la division en services spéciaux avec la séparation des pouvoirs souverains, comme Montesquieu semble l’avoir fait en mettant le service spécial de la judicature au même rang que le pouvoir des ministres et du Parlement.

Ces objections ne pouvaient frapper les hommes du