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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/719

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

xviiie siècle, inexpérimentés encore dans le mécanisme des gouvernements. La théorie de la séparation des pouvoirs était pour eux l’évangile de la liberté politique, la fin du despotisme des cours et des bureaux. Elle enchantait surtout les libéraux aristocrates, car elle donnait à la noblesse si longtemps écartée des affaires le moyen de reprendre dans l’État sa légitime part d’influence.

Les intrigues et les scandales du Parlement anglais depuis l’avènement de Georges III (1760), en discréditant la pratique du régime parlementaire, accrurent la vogue de la théorie ; le roi Georges, au lieu d’accepter le ministère des mains du Parlement, comme ses prédécesseurs, s’était avisé de choisir ses ministres à sa fantaisie et d’employer leur influence à se former un parti personnel, celui des « amis du roi » qui devait servir à brouiller le jeu des partis réguliers de façon à rétablir l’autorité royale. Ce manège habitua les hommes politiques à regarder les ministres comme des agents corrupteurs dangereux pour l’indépendance des assemblées, et qu’il fallait en écarter systématiquement.

Dans la génération qui fit la Révolution d’Amérique et la Révolution française, les « classes dirigeantes » étaient pénétrées des formules de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs et prêtes à les faire passer dans les actes officiels. Les Américains donnèrent l’exemple.

Le terrain aux États-Unis était particulièrement favorable à l’application de la théorie. Le gouvernement de chacune des colonies était partagé entre un gouverneur représentant le roi d’Angleterre et une législature qui représentait les habitants. Cet appareil un peu rudimentaire suffisait à des sociétés peu nombreuses, simples, presque exclusivement agricoles, où les habitants réglaient eux-mêmes leurs affaires locales, et où les fonctions et le budget du gouvernement central étaient réduits au strict minimum. Après la rupture avec l’Angleterre ce régime fut conservé, mais le gouverneur fut élu par le peuple devenu souverain. Ainsi l’autorité suprême du roi disparut et se trouva partagée entre deux pouvoirs juxtaposés et indépendants, analogues au Législatif et à l’Exécutif indiqués par la théorie de la séparation des pouvoirs.