Aller au contenu

Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/721

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
717
LA SÉPARATION DES POUVOIRS

Comité de constitution, résumant les demandes des cahiers, déclarait qu’ils avaient donné aux députés « les pouvoirs nécessaires pour asseoir sur des principes certains et sur la distinction et la constitution régulière de tous les pouvoirs la prospérité de l’Empire français ». Le 26 août, l’Assemblée nationale votait le principe. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée et la séparation des pouvoirs déterminée n’a pas de constitution ». C’est l’article 16 de la déclaration des Droits de l’homme.

Ainsi la doctrine était proclamée sous la forme la plus doctrinaire en apparence. Quelques mois plus tard l’Assemblée repoussait la proposition de Mirabeau d’admettre dans son sein les ministres du roi même avec voix consultative ; elle semblait, en interdisant tout contact entre les agents du pouvoir exécutif et les représentants du pouvoir législatif, vouloir indiquer qu’elle adoptait la théorie de la séparation des pouvoirs avec son interprétation la plus radicale.

Cependant les gens de la Constituante étaient plus « opportunistes » qu’on ne le croit[1]. Mounier leur fournit une formule fort obscure mais très commode qui leur permettait de tempérer la rigueur de la doctrine par des expédients pratiques : « Pour que les pouvoirs restent à jamais divisés, il ne faut pas les séparer entièrement. » En conséquence on donna au roi la sanction des lois votées par le pouvoir législatif. Et si l’on rejeta le régime anglais du ministère pris dans le Parlement, ce fut moins par des motifs de doctrine que par une défiance pratique envers l’entourage de Louis XVI, et parce que l’expérience de l’Angleterre elle-même semblait à cette époque avoir prouvé le danger d’admettre les agents du roi dans l’Assemblée. « Il y a, disait Blin le 7 novembre, dans le Parlement de cette nation (l’Angleterre) une majorité corrompue et qui ne prend même pas la peine de cacher le trafic de ses voix. En examinant les votes de cette Assemblée on voit un grand nombre de motions utiles rejetées par la majorité ministérielle, c’est elle qui a occasionné la perte des colonies. » Et, citant les lettres de Junius, il appelait

  1. Voir le petit ouvrage très judicieux de M. E. Champion : L’Esprit de la Révolution.