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LA REVUE DE PARIS

Au xixe siècle même, le refus du budget n’a fait tomber aucun gouvernement. Charles X, en 1830, s’est enfui, non devant la Chambre ou la Société pour le refus de l’impôt, mais devant les insurgés républicains de Paris, et le même parti républicain, en 1848, a renversé Louis-Philippe à qui la Chambre n’avait refusé aucun budget. Les crises constitutionnelles de Prusse (1862-66) et de Danemark (1877-91) ont montré qu’un gouvernement peut se maintenir indéfiniment sans budget régulièrement voté et contre la volonté formelle des représentants du pays. En ce cas, comme le disait Bismarck au Landtag prussien en 1863, « les conflits deviennent des questions de force ; celui qui a la force en main va en avant dans son sens ».

Contre la tendance autoritaire de tous les agents exécutifs, contre les abus de pouvoir des fonctionnaires et même contre les intrigues des assemblées délibérantes, l’histoire du xixe siècle ne nous montre que deux forces efficaces de résistance, toutes deux nées en ce siècle et que Montesquieu ne pouvait prévoir.

L’une est un peuple instruit des choses politiques, habitué à s’informer exactement, exigeant beaucoup de ses mandataires, les obligeant à lui rendre compte de leurs actes et à tenir compte de ses volontés, mais décidé à les soutenir même contre le gouvernement et par tous les moyens.

L’autre est une presse active, informée de tout, décidée à épier, à publier, à critiquer tous les actes des agents du pouvoir, assez indépendante de tous les fonctionnaires, même des juges, pour qu’on ne puisse la faire taire, assez riche ou assez nombreuse pour qu’on ne puisse la corrompre.

Avec un tel peuple et une telle presse un État sera garanti contre toutes les espèces de despotismes.


CH. SEIGNOBOS.