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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 1.djvu/735

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

instrument pour les faire obéir des détenteurs de la force. Le problème est résolu dans les pays habitués à la souveraineté du peuple et au gouvernement représentatif. Aux États-Unis et en Suisse on n’imaginerait pas une autorité exécutive refusant d’obéir à l’ordre légal d’une assemblée souveraine. Mais dans les pays de tradition monarchique le prince, les ministres, même les fonctionnaires subalternes, sont enclins à ressentir comme un déshonneur l’obligation de se courber devant la volonté de simples députés. Entre ces pouvoirs d’origine opposée reposant sur une conception opposée de l’autorité, — les pouvoirs exécutifs venant d’en haut, du prince l’ancien souverain, par hérédité ou par hiérarchie, — les pouvoirs législatifs montant d’en bas par délégation du peuple, le souverain nouveau, — entre ces deux pouvoirs le conflit est nécessaire ; il est souvent latent, masqué sous des formes respectueuses, contenu par l’accord de certains intérêts communs ; mais il est permanent et parfois il fait éclater des crises qui suspendent toute la vie constitutionnelle de la nation ; le xixe siècle en a vu de retentissantes, en France, en Prusse, en Danemark, en Norvège.

À ces crises la séparation des pouvoirs n’offre aucune solution. Quand la crise éclate, c’est que chacun des deux pouvoirs est décidé à ne pas céder : il s’agit de savoir lequel des deux aura le dernier mot, car celui qui fera céder l’autre, celui-là sera le souverain et, s’il l’a été une fois, il aura chance de le rester. Le régime anglais lui-même ne donne pas de solution satisfaisante. La dissolution ne termine pas la crise, elle montre seulement que le conflit est entre le peuple et le gouvernement. On regarde communément le pouvoir de l’assemblée de refuser le budget comme l’ultima ratio, l’arme irrésistible qui assure la victoire aux représentants de la nation et garantit la souveraineté du peuple. On nous a habitués à honorer Hampden comme le sauveur des libertés anglaises. En fait, les historiens anglais, Carlyle, Macaulay et Gardiner ont démontré, ce que Voltaire avait déjà signalé[1], que la Révolution d’Angleterre a été faite pour des raisons religieuses, non pour des motifs fiscaux.

  1. Dans un passage trop peu remarqué de l’Essai sur les mœurs.