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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/24

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un autre monde

ordinaires, mouvements simultanés d’un groupe d’hommes, d’enfants en récréation, évolution d’instruments, pierrailles jetées en l’air ou petites boules lancées dans une allée pour être comptées au vol, — elles stupéfiaient la famille et les amis du docteur.

Ma course dans le grand jardin, mes bonds de vingt mètres, mon instantanéité à saisir les objets, ou à les rejoindre étaient plus admirés encore, non par le docteur, mais par son entourage. Et c’était un plaisir toujours nouveau, pour les enfants et la femme de mon hôte, lors d’une promenade à la campagne, de me voir devancer un cavalier lancé au galop ou suivre la course de quelque hirondelle : il n’est effectivement pur-sang à qui je ne puisse donner deux tiers d’avance, quel que soit le parcours, ni oiseau que je ne puisse aisément dépasser.

Pour le docteur, de plus en plus satisfait du résultat de ses expériences, il me définissait ainsi : « un être humain doué, en tous ses mouvements, d’une vitesse incomparablement supérieure, non seulement à celle des autres hommes, mais encore à celle de tous les animaux connus. Cette vitesse, retrouvée aussi bien dans les éléments les plus ténus de son organisme que dans l’ensemble, en fait un être si distinct du reste de la création qu’il mérite à lui seul de prendre un nom spécial dans la hiérarchie animale. Pour la conformation si curieuse de son œil, de même que pour la teinte violette de sa peau, il faut les considérer comme de simples indices de cet état spécial. »

Vérification faite de mon système musculaire, il ne s’y trouva rien de remarquable, sinon une excessive maigreur. Mon oreille, non plus, ne fournit pas de données particulières ; ni, d’ailleurs, sauf toujours la nuance, mon épiderme. Quant au cheveu, de couleur foncée, d’un noir violâtre, il était fin comme le fil de l’araignée, et le docteur en faisait une étude minutieuse.

— Il faudrait pouvoir vous disséquer ! me disait-il quelquefois en riant.

Le temps passait ainsi doucement. J’avais très vite appris à sténographier, grâce à l’ardeur de mon désir et à l’aptitude naturelle que je montrais pour ce mode de transcription rapide,