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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/23

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docteur, dans ce milieu de science, je ressentis un bien-être délicieux ; la mélancolie de ma solitude d’âme, le regret de mes facultés perdues, la longue misère de paria qui m’écrasait depuis tant d’années, tout s’évanouit, s’évapora dans le sentiment d’une vie neuve, d’une vie véritable, d’une destinée sauvée !


viii


Le docteur prit dès le lendemain toutes les dispositions nécessaires. Il écrivit à mes parents ; il me donna un professeur de sténographie et se procura des phonographes. Comme il était fort riche, et tout à la science, il n’est expérience qu’il ne se proposât de faire, et ma vision, mon ouïe, ma musculature, la couleur de ma peau furent soumises à des investigations scrupuleuses, dont il s’enthousiasmait de plus en plus, s’écriant :

— Cela tient du prodige !

Je compris à merveille, après les premiers jours, combien il était important que les choses se fissent méthodiquement, du simple au composé, de l’anormal facile à l’anormal merveilleux. Aussi j’eus recours à une petite habileté, dont je ne fis pas un secret au docteur : c’était de ne lui révéler mes facultés qu’à mesure.

La rapidité de mes perceptions et de mes mouvements l’occupa tout d’abord. Il put se convaincre que la subtilité de mon ouïe répondait à la vitesse de ma parole. Des expériences graduées sur les bruits les plus fugitifs, que j’imitais avec aisance, les paroles de dix ou quinze êtres parlant à la fois et que je discernais parfaitement, démontrèrent ce point jusqu’à l’évidence. La vélocité de ma vision ne se prouva pas moindre ; et des essais comparatifs entre mon pouvoir de décomposer le galop d’un cheval, le vol d’un insecte, et le même pouvoir en des appareils de photographie instantanée, furent tout à l’avantage de mon œil. Quant aux perceptions des choses