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Page:Revue de Paris - 1895 - tome 5.djvu/27

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la revue de paris

jardin. Le docteur était silencieux, tout absorbé par des spéculations dont j’étais l’objet principal. À la fin, il se mit à dire :

— C’est pourtant un joli rêve de voir à travers ces nuages… de percer jusqu’à l’éther, alors que nous… aveugles que nous sommes…

— Si je ne voyais que le ciel !… répliquai-je.

— Ah ! oui, le monde tout entier si différent…

— Bien plus différent même que je ne vous l’ai dit !

— Comment ? s’écria-t-il avec une avide curiosité, m’auriez-vous dissimulé quelque chose ?

— Le principal !

Il se planta devant moi, me regarda fixement, avec une véritable angoisse, où se mêlait je ne sais quoi de mystique.

— Oui, le principal !

Nous étions arrivés auprès de la maison ; je m’élançai pour demander un phonographe. L’instrument qu’on apporta était d’envergure, fort perfectionné par mon ami, et pouvait enregistrer un long discours ; le domestique le déposa sur la table de pierre où le docteur et les siens prenaient le café par les beaux soirs d’été. Le bon appareil, horlogé à miracle, se prêtait admirablement aux causeries. Notre conversation se poursuivit donc à peu près comme une conversation usuelle :

— Oui, je vous ai caché le principal, voulant d’abord votre entière confiance. Et maintenant même, après toutes les découvertes que mon organisme vous a permis de faire, je crains bien que vous ne me croyiez pas sans peine, du moins au début.

Je m’arrêtai pour faire répéter la phrase par l’instrument : je vis le docteur devenir pâle de la pâleur des grands savants devant une nouvelle attitude de la matière. Ses mains tremblaient.

— Je vous croirai ! dit-il avec une certaine solennité.

— Même si je prétends que notre création, je veux dire notre monde animal et végétal, n’est pas l’unique vie de la terre… qu’il en est une autre, aussi vaste, aussi multiple, aussi variée… invisible pour vos yeux ?

Il soupçonna de l’occultisme et ne put s’empêcher de dire :