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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/417

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LE FEU

jeunes cyprès les accueillirent timidement. Nul visage humain ne se montra. La myriade invisible emplissait de son cantique le désert. La brume se déchirait, s’agglomérait en nuages, au déclin du soleil.

— Sur combien d’herbe nous avons marché, n’est-ce pas, Stelio ?

Il dit :

— Mais à présent vient la montée rocheuse.

Elle dit :

— Vienne la montée, et qu’elle soit rude !

Il s’étonna de la gaieté inaccoutumée qu’il y avait dans l’accent de sa compagne. Il la regarda ; au fond de ces beaux yeux, il vit l’ivresse.

— Pourquoi, dit-il, nous sentons-nous si joyeux et si libres dans cette île perdue ?

— Tu le sais, toi ?

— Pour les autres, c’est un pèlerinage triste. Quand on vient ici, on s’en retourne avec le goût de la mort dans la bouche.

Elle dit :

— Nous sommes en état de grâce.

Il dit :

— Plus on espère, plus on vit.

Et elle :

— Plus on aime, plus on espère.

Le rythme du chant aérien ne cessait pas d’attirer à lui leurs essences idéales.

Il dit :

— Comme tu es belle !

Une subite rougeur inonda ce visage passionné. Elle s’arrêta, palpitante. Elle ferma presque les paupières.

Elle dit, d’une voix étouffée :

— Il passe un courant chaud. Sur l’eau, de temps en temps, ne sentais-tu pas une bouffée de tiédeur ?

Elle aspira l’air.

— Il y a comme une odeur de foin fauché. Ne la sens-tu pas ?

— C’est l’odeur des algues : les bancs commencent à découvrir.