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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/418

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LA REVUE DE PARIS

— Regarde les belles campagnes !

— Ce sont les Vignole. Et là-bas, c’est le Lido. Et, là-bas, c’est l’île de Sant’Erasmo.

Le soleil, sans voile maintenant, dorait tout l’estuaire. L’humidité des bancs émergés imitait l’éclat des fleurs. Les ombres des petits cyprès devenaient plus longues et plus bleues.

— Je suis certaine, dit-elle, que, quelque part, dans le voisinage, les amandiers fleurissent. Allons sur la digue.

Elle secoua la tête en arrière, par un de ces mouvements instinctifs qui semblaient rompre un frein ou se débarrasser d’une entrave.

— Attends !

Et, retirant vite les deux longues épingles qui fixaient son chapeau, elle se découvrit la tête. Elle revint sur ses pas vers la rive et jeta dans la gondole la chose scintillante. Elle rejoignit son ami, légère, en relevant avec les doigts la masse de ses boucles où l’air pénétra et où brillèrent les rayons. Elle parut éprouver un grand soulagement, comme si sa respiration se fût élargie.

— Les ailes souffraient ? dit Stelio en riant.

Et il regarda le pli rude, fait, non par le peigne, mais par la tempête.

— Oui ; le moindre poids me gêne. Si je ne craignais de paraître singulière, j’irais toujours tête nue. Mais quand je vois les arbres, je ne puis plus résister. Mes cheveux se souviennent qu’ils sont nés d’espèce sauvage, et ils veulent respirer à leur guise, du moins dans le désert…

Franche et vive, elle cheminait sur l’herbe avec une svelte ondulation. Et il se rappela ce jour où, dans le jardin Gradenigo, elle lui avait paru ressembler au beau lévrier fauve.

— Oh ! voici un capucin !

Le frère gardien venait à leur rencontre, en les saluant avec affabilité. Il s’offrit au visiteur pour l’introduire dans le couvent ; mais il l’avertit que la règle interdisait l’entrée à sa compagne.

— Irai-je ? — dit Stelio, interrogeant du regard son amie qui souriait.

— Oui, va.