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Page:Revue de Paris - 1900 - tome 4.djvu/67

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LE FEU

coup de gourdin, qui se relevait et tâchait de se jeter contre son adversaire, et la massue qui le frappait de nouveau, les coups brandis l’un après l’autre par une main ferme et froide, le bruit sourd du choc sur la tête humaine, l’effort obstiné pour se relever, la ténacité de la vie, la chair du visage réduite en bouillie rouge. Dans l’incohérence de sa pensée, les images atroces de ce souvenir se confondaient avec la réalité de sa torture présente. Elle se leva brusquement, épouvantée de la sauvage énergie qui envahissait tous ses membres. Le verre se brisa dans sa main convulsée, la blessa, tomba en morceaux.

Il tressaillit, lui qu’avait trompé le silence immobile de cette femme ; et il la regarda, et il la vit enfin ; et il vit de nouveau, comme certain soir dans la chambre où sifflaient les tisons, il vit la figure de la démence qui se dessinait sur ce visage décomposé. Il balbutiait des paroles de regret ; mais, au fond de son effroi, bouillonnait l’impatience.

— Ah ! — dit-elle, maîtrisant son tremblement avec une amertume qui lui tordit la bouche, — comme je suis forte ! Une autre fois, ayez soin que l’entaille soit moins lente : j’ai si peu de résistance, mon ami !

Elle s’aperçut que le sang dégouttait de ses doigts. Elle les enveloppa dans son mouchoir, qui rougit. Elle regarda les débris du verre, qui brillaient épars sur le sol.

— La coupe est brisée ! Vous lui avez donné trop de louanges. Si nous lui élevions un mausolée, ici ?

Très amère, presque moqueuse, elle avait les lèvres contractées par un rire acerbe qui n’éclatait pas. Lui se taisait, déçu, le cœur gonflé de rancune : car il voyait la beauté d’un effort détruite comme cette coupe parfaite.

— Imitons Néron, puisque nous avons déjà imité Xerxès !

Elle sentait, d’une façon plus poignante encore que son ami, le grincement de son sarcasme, la fausseté de sa voix, la méchanceté de ce rire qui était comme un spasme de ses muscles. Mais elle ne parvenait pas à ressaisir son âme, et elle la voyait emportée à la dérive loin de sa volonté, sans recours : tels, sur le navire, les marins dont les mains ont laissé échapper la barre demeurent inertes devant le cabestan qui, virant à rebours avec une violence terrible, abandonne le câble ou les