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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/423

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LES CIMETIÈRES DE MADRID.

par un toit revêtu de tuiles reposant sur des piliers de bois peint en vert.

Les murs de clôture, fort épais, qui forment le fond de ces grossiers portiques, sont percés sur toute leur surface de trous profonds, régulièrement superposés les uns aux autres. C’est là qu’on introduit les cercueils comme des tiroirs dans leurs cases.

On dirait les nids d’un pigeonnier désert, ou plutôt les alvéoles d’une ruche abandonnée par les abeilles. Les corps sont demeurés ; les âmes se sont envolées.

Sur les pierres étroites qui ferment, au niveau du mur, ce casier des morts, point de ces épitaphes fastueuses dont on surcharge ailleurs les tombes ! Point de ces douleurs d’héritiers écrites en or dans le marbre, comme pour témoigner avec plus d’éclat de leur mensonge ! Les noms seulement et l’âge des défunts, le titre de la confrérie à laquelle ils ont appartenu, et parfois un verset des psaumes, voilà tout. — Il semble que l’Espagnol, de son vivant si gonflé de ses vanités, ait voulu laisser au seuil de ce monde toutes les bouffissures de son naïf orgueil.

Je marchais depuis quelque temps sous les galeries du Campo Santo. J’y avisai bientôt un homme en veste qui, les mains croisées derrière le dos, prenait le soleil[1], l’épaule appuyée contre un des piliers.

À son air nonchalant et distrait, je jugeai d’abord que cet homme était chez lui, que c’était le maître du logis.

— Vous êtes le gardien du cimetière ? lui demandai-je.

Si senor, pour vous servir, — para servir a usted, — me dit-il fort courtoisement.

Il avait présumé sans doute que je venais me pourvoir d’une sépulture. Mes questions étaient au moins de nature à lui suggérer cette supposition.

— Combien se paient ces niches ? dis-je, lui en montrant plusieurs qui étaient vides.

— Cela dépend, répondit-il ; — si c’est pour quatre ans seulement, cela vous coûtera cinq cents réaux, et six mille, si c’est pour toute la vie.

  1. Tomava el sol.