Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/424

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
420
REVUE DES DEUX MONDES.

— Pour toute la vie ! dis-je, pour toute la vie de qui ? Vous voulez dire pour toute la mort !

— Oui, pour toujours, continua-t-il en souriant. C’est un peu cher, n’est-ce pas ? Mais il y a des tombes à meilleur marché pour toute la vie aussi. Tenez, celles que nous avons sous nos pieds, et qui sont numérotées, ne reviennent qu’à six cents réaux. On y est fort bien également.

— Mais tout le monde ne peut pas mettre cinq cents réaux à une tombe. N’avez-vous pas à loger parfois quelques-uns de ces hôtes qui n’ont pas plus de réaux après leur mort qu’ils n’en ont eu pendant leur vie ? — Que faites-vous des corps de ceux-là ?

— Oh ! en effet, les pauvres ne manquent point ; mais, grâce à Dieu, la place ne leur manque pas non plus ! Voyez, dit-il, me montrant le sol nu et découvert du cimetière, ce champ est grand ! Este campo es largo !

En causant, nous étions sortis des galeries, et nous nous étions avancés dans l’enceinte, où nous nous promenions en long et en large, foulant aux pieds ces sépultures dont pas une pierre, pas une croix de bois, pas une touffe d’herbe ne signalait la place.

— Ainsi tout le peuple des morts est ici en pleine terre, dis-je au gardien. Votre cimetière ressemble au cirque de la place des Taureaux. Sous les galeries, les niches, ce sont les loges où se placent les grands et les riches ; au-dessous, les tombes numérotées, — c’est l’amphithéâtre couvert où vont les fortunes moyennes. Au bas et à l’air libre, les fosses communes, c’est le tendido, le parterre, où se mêle et s’entasse la foule misérable et sans nom.

— C’est vrai, répondit-il. Il y a seulement une différence, c’est que le tendido, si tumultueux à la place des Taureaux, ne fait pas ici plus de bruit que les loges et l’amphithéâtre.


Nous avions laissé la chapelle à notre droite, et nous nous trouvions devant un large trou carré, qui expliquait de reste lui-même sa destination. Le gardien s’arrêta.

— Voici une fosse, dit-il, qui m’a dévoré bien des corps déjà ! Cependant elle n’est pas encore rassasiée, et je ne la fermerai guère avant un mois.

— Mais celle-là, qui a la gueule béante, qui semble être à jeun