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peuple. Si le peuple était content de vos jeux, il vous nommait préteur ; s’il les trouvait trop mesquins, il vous laissait là sans place et sans patrimoine. Aussi, ceux qui voulaient faire fortune donnaient-ils des jeux magnifiques, et pour cela empruntaient au taux légal de 12 pour cent plus l’usure. Vous sentez que cela devait aller loin. Mais prenez garde : devenu préteur, on passait d’abord un an à juger le stillicidium ou le mur mitoyen, à protéger l’orphelin et la veuve sous les yeux des consuls, sous l’inspection du sénat, sous la férule des Catons ; alors les profits étaient petits. Mais au bout de l’année on allait en province. Une province, c’était un royaume entier ; c’était la Sicile, la Grèce, la Gaule, la Bretagne, la Syrie, les deux bouts du monde. Une province, c’était la joie de l’homme ruiné ; c’était là qu’il donnait rendez-vous à ses créanciers pour l’apurement de leurs comptes, là qu’il levait des tributs pour la république et pour lui, là qu’il prenait des esclaves, qu’il prenait des statues, qu’il prenait de l’argent, des vases d’or et des dieux ; qu’il pillait les citoyens, les villes et l’Olympe, qu’il devenait artiste, dilettante, Mécène, et protégeait les arts en volant des chefs-d’œuvre. Après la préture, revenu à Rome, s’il n’avait voulu que s’enrichir, il se reposait sur sa chaise d’ivoire au sénat, comme un ministériel émérite à la chambre des lords, montrant à ses amis sa magnifique galerie, protégeant les sculpteurs grecs, et passant pour connaisseur. S’il avait de l’ambition, sa carrière était plus qu’à moitié faite ; il était homme de guerre, homme de tribune, sénateur, consul, tout ce qu’il voulait ; il était Sylla, il était César.

Voilà la carrière que remplit César, comme nul ne l’avait remplie avant lui. Ce grand seigneur, ce dandy, cet enfant gâté de la fortune, avant d’être seulement entré dans la carrière, devait déjà plus de 6,000,000. Après sa préture en Espagne, où ses créanciers faillirent l’empêcher de se rendre (il fallut que le riche Crassus se fit sa caution), il devait 45,000,000 ; il n’avait pas agi comme les autres, il n’avait pas cherché à s’enrichir en Espagne. Il avait compté sur d’autres moyens de fortune ; il lui fallait des victoires, des conquêtes lointaines, une révolution dans son pays, et il ne fut peut-être si grand homme que parce qu’il eut des créanciers.

En un mot, c’était un homme heureux ; à la guerre il ne fut pas battu une fois ; deux fois seulement sa victoire resta douteuse ; la