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LES CÉSARS.

fortune le combla jusqu’à son dernier jour, elle le fit même mourir comme il avait souhaité, elle lui trouva une vingtaine de niais comme Brutus et Cassius, pour lui épargner les ennuis de la vieillesse, la honte d’un revers, et les souffrances d’une maladie.

Quand on fait descendre l’histoire à tous ces détails, elle se rapproche bien plus de notre temps. Le premier mouvement, en lisant l’histoire, est de trouver toutes les époques différentes, le second est de les trouver toutes pareilles. Cela mène à une grande vérité, l’éternelle similitude de l’homme ; ôtez le costume, détachez la toge, ouvrez le manteau ; ce n’est plus le Romain, le Français ni le Chinois ; c’est l’homme ; les mêmes passions, la même intelligence, la même vie. On a étudié l’histoire bien petitement, si on n’a pas compris cela.

Pardonnez-moi ces quelques mots en faveur de la nature humaine, que tout le monde s’accorde à sacrifier à une prétendue nature historique. Quoique dans le fait le premier empereur romain fût César, j’aime mieux laisser là sa biographie, trop pleine de grandes choses, et commencer à Auguste.

Celui-là ne semblait pas né pour être un grand personnage ; quand on vint lui dire que César était mort et qu’il était nommé son héritier, il eut grand’peur. Il faut dire ici de quoi se composait la succession de César : c’était d’abord une vengeance à poursuivre ; si elle ne s’accomplissait pas, la proscription ; si elle réussissait, le pouvoir : de toute manière, une guerre à soutenir, des légions à payer, des amis onéreux de tous genres à garder à son service ; mille priviléges de toute espèce accordés aux uns et aux autres par le testament de César, ou par des testamens qu’Antoine avait supposés, à conserver en dépit du sénat ; des legs immenses à solder au peuple romain. Telle était cette succession qu’il fallait accepter ou refuser ; les guerres civiles ne souffraient pas de bénéfice d’inventaire, et les premiers agens qu’il devait se procurer pour réclamer ses droits d’héritier, c’étaient des soldats.

Les légions, les vieux soldats de César virent donc venir à leur front de bataille un pauvre jeune homme blême, boiteux, tout tremblant ; il avait peur du tonnerre, croyait aux songes et aux présages ; il ne parlait en public qu’après avoir appris son discours par cœur ; il craignait le froid et le chaud, ne sortait que