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LES CÉSARS.

De plus, c’est aux vaincus que l’on doit assistance ; si un principe a souffert, c’est lui qu’il faut relever ; nulle société ne vit sur une idée absolue, nulle combinaison nationale ne pivote sur un syllogisme ; dans toute société, il faut un peu de chaque chose.

La vieille Rome, la Rome aristocratique était vaincue, battue à Pharsale et à Philippes, où son parti était mort les armes à la main ; battue dans la cité où ses mœurs, sa foi, ses lois étaient mises en oubli ; battue dans les temples où l’on n’adorait plus que des dieux étrangers, battue dans le sénat qui était avili et mêlé de barbares. Et par cette raison même, ce fut la vieille Rome, la Rome aristocratique qu’Auguste chercha à relever. Cette réaction, cette restauration ressemble à ce que tentait Napoléon en relevant le culte, rétablissant une noblesse, ramenant une cour, refaisant de la morale, de la bienséance, de l’honneur à la façon du siècle passé. Ces deux situations sont admirablement analogues ; chacun des deux princes, frappé de ce qui manquait au régime nouveau, cherchait à le retrouver dans l’ancien régime ; l’un refaisait la vieille Rome, l’autre la vieille France, laissant de côté dans l’une et dans l’autre ce qui l’incommodait, l’un l’aristocratie républicaine, l’autre les priviléges qui entouraient et gênaient la royauté.

Ni l’un ni l’autre n’avaient si grand tort. Certes, sous Auguste, cette décadence de la moralité et de la vie romaine était un mal. Dans l’antiquité, les sociétés reposaient toutes sur la nationalité, sur la foi, les institutions, les mœurs de chaque pays, les nationalités étrangères : Rome avait été vaincue, la nationalité romaine manquant à son tour, quel lien restait-il au monde ? Ce problème qu’Auguste fut loin de résoudre, en cherchant à relever les mœurs romaines, tourmenta le monde quatre siècles durant.

L’entreprise était difficile ; Auguste, qu’on nous représente comme l’ennemi des institutions de la république, cherchait des questeurs, des tribuns, des candidats aux charges républicaines, et n’en trouvait pas : si quelqu’un dans Rome était Romain, c’était lui seul.

Il entreprit la restauration de la vieille Rome avec toute sa hiérarchie. Il voulut que le titre de citoyen romain ne fût plus prodigué, et que le rebut des provinces n’inondât plus la cité romaine. Au théâtre, il voulut faire revivre toutes les distinctions antiques, donna le premier banc aux sénateurs, les suivans aux chevaliers, sépara les hommes mariés des célibataires, les adultes des