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qu’une mélodie règne toute seule, car les autres qui chantent autour paraissent amoindrir l’éclat de la mélodie principale en divisant l’attention ; je dis paraissent, car pour l’homme qui voit de haut, et d’un coup d’œil embrasse le travail de la symphonie, au lieu d’amoindrir cet éclat, elles l’augmentent. En outre, un tel assemblage de voix force le compositeur à se servir de certaines formules dont le procédé homophonique le dispense complètement. C’est autre chose de diriger une seule voix qui se meut sans obstacle sur une route unie, ou d’en conduire plusieurs qui, parties de différens points, doivent se joindre tôt ou tard, et de leur ménager des rencontres heureuses de peur qu’elles ne se heurtent de front au lieu de s’enlacer, et ne laissent dans les ténèbres, en expirant, le royaume sonore qu’elles animent. Tout homme, pourvu qu’il ait fait des études sérieuses, est capable d’accomplir la première de ces tâches ; pour la seconde, il fallait Jean-Sébastien Bach. En vérité, je ne puis voir le vieux contrepointiste se promener à pas lens dans les campagnes de la Thuringe, rêvant aux harmonieuses combinaisons de ses voix, sans penser à l’archiviste Lindhorst rassemblant en groupes magiques les petits serpens de son jardin.

Cette complication des voix occasione des formules de mélodie nouvelles, étranges, inouies, et devient une des causes qui font que la mélodie de Sébastien a si peu de parenté avec celle des autres compositeurs. Lorsque cette forme originale ne dégénère pas en pédantisme scolastique, et donne cours à des chants fluides et naturels, elle a des ressources immenses pour le musicien qui l’emploie, sans jamais entraîner d’autres inconvéniens que celui de déplaire à la partie ignorante du public.

Cependant toutes les mélodies de Bach ne sont pas de cette nature. Les mélodies de ses compositions libres sont tellement claires et faciles, qu’elles peuvent être comprises par les intelligences les moins exercées. Tels sont les préludes et les suites où la même originalité de pensée règne pourtant toujours. Un des caractères principaux de la musique de Bach est de ne point vieillir. Je suis loin de nier, cependant, qu’on ne trouve çà et là, dans ses premières compositions, certains passages oubliés maintenant, certaines formules hors d’usage, qui appartiennent plutôt à l’époque où Sébastien écrivait qu’à Sébastien lui-même. Sébastien Bach, comme après lui Mozart, a fait plus d’une concession au mauvais goût