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JEAN-SÉBASTIEN.

dominant. C’est là-dessus que le temps a frappé, de sorte qu’il nous était réservé à nous, venus cent ans plus tard, de mieux jouir de son œuvre que ses contemporains, toute chose puérile et vaine s’en étant effacée. Il est des œuvres bonnes et vivaces que le temps n’attaque pas dans leurs racines, car il sait bien que sa faux s’émousserait sans les détruire. L’œuvre de Jean-Sébastien est de ce nombre ; c’est là un arbre généreux et vert que le temps n’essaie pas d’abattre, mais qu’il émonde prudemment. Toute la mélodie que Sébastien a tirée des sources profondes de son ame, et répandue à flots sans égard pour les caprices de la foule ; toute cette mélodie est encore aujourd’hui aussi fraîche, aussi limpide, aussi pure que le jour où elle est venue à la lumière. Il est bien peu de compositions de cette époque dont on puisse dire la même chose. Les œuvres de Kaiser et de Handel, maîtres religieux et vénérés, ont vieilli plus tôt qu’on n’aurait dû le croire, et ce phénomène a sa loi dans le genre de musique qu’ils avaient choisi tous les deux. Kaiser et Handel, compositeurs populaires, devaient nécessairement mêler à leur langue divine quelques-unes des paroles ayant cours dans la foule à laquelle ils s’adressaient, et céder par force au mauvais goût du temps. Or, la mode dans l’art est une chose pernicieuse et fatale. Handel en offre un exemple éclatant ; ses fugues de chant sont toutes aujourd’hui encore dans la fraîcheur de la jeunesse et de la beauté, tandis que ses airs ont vieilli, et qu’à peine dans le nombre vous en compteriez six que l’on puisse entendre désormais avec tout le respect dû à ce nom glorieux.

Quelle que soit la forme que Sébastien adopte, il la domine : nulle part les moindres vestiges d’embarras ou de travail pénible. Il ne manque jamais le but auquel il tend ; chez lui, toute chose a sa loi d’existence, toute chose est une et complète en soi. Seriez-vous Mozart ou Beethoven, il ne vous viendrait pas à l’esprit de vouloir, dans tel passage de ses œuvres, une note quelconque plutôt que celle qu’il y a clouée.

En divers genres de compositions, plusieurs maîtres ont créé des chefs-d’œuvre qui peuvent, avec honneur, être placés à côté des siens ; il existe des allemandes de Handel et de certains autres, qui, moins riches peut-être que celles de Bach, leur tiennent tête cependant. Mais dans le domaine de la fugue, de tous les arts du contrepoint et du canon, Sébastien est seul, tellement seul, que bien loin