Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/764

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
760
REVUE DES DEUX MONDES.

neur qu’il se rendrait immédiatement à Bayonne, sans voir personne à Paris, pas même le général Lafayette, qu’il cacherait soigneusement ses projets, son voyage, son nom même, et qu’il suspendrait toute entreprise pendant six à sept semaines, afin de donner à la France le temps de prendre position vis-à-vis de l’Europe, et de se trouver plus libre de ses actions. Mina promit, et tint parole. Mais que cette parole devint funeste ! D’abord on perdit, sans agir, le temps le plus précieux, celui où le cabinet de Madrid, plongé dans la stupeur, était incapable d’adopter aucune mesure de salut. Mais un mal plus grand arriva. D’une part, la réserve de Mina et le secret inexplicable dont il s’enveloppait, jetèrent ses amis de France dans la surprise, puis dans le refroidissement et la défiance ; d’autre part, son inaction forcée, ses efforts pour ajourner le mouvement, le compromirent plus gravement encore parmi ses compatriotes : les mots de faiblesse, de trahison même, furent prononcés. On l’accusa d’être vendu aux intérêts de l’Angleterre, et d’empêcher le mouvement qui devait donner à la France une suprématie décidée sur la Péninsule. Celui qui devait être le drapeau commun vit d’autres chefs arborer autour de lui des drapeaux indépendans. Une affligeante désunion se mit dans des rangs peu nombreux qu’aurait dû serrer un malheur commun, un égal dévouement à la patrie, et leurs amis de France se refroidirent pour des hommes qui semblaient commencer la guerre civile sur la terre étrangère. Les secours d’hommes, d’armes et d’argent, destinés à Mina, furent remis à d’autres, et l’entreprise n’eut plus de chef, plus de lien, plus d’unité.

Cependant le gouvernement français tournait de plus en plus à la politique nouvelle. Désireux d’ajouter la reconnaissance du cabinet de Madrid à celle des autres cours de l’Europe, il sacrifia décidément la cause espagnole à ses convenances. Les secours de route furent retirés, les départs défendus, et des mesures rigoureuses furent prises contre les réfugiés. Par une contradiction inique, on parut indigné de l’inaction qu’on leur avait commandée ; on leur fit également un crime d’avoir conçu des projets de révolution, et de ne les avoir pas accomplis. Des ordres sévères furent adressés aux autorités locales, et, les effets suivant la menace, des infortunés qui s’étaient dépouillés de leurs vêtemens pour acheter des armes, se virent arracher cette uni-