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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

baïle, ni un Kabaïle une Arabe. Les Arabes ne viennent pas se fixer chez les Kabaïles ni les Kabaïles chez les Arabes. Chaque race demeure entière sans se laisser aborder ni entamer par l’autre. C’est qu’il y a entre elles non-seulement un fonds de vieille haine que jamais les races n’oublient quand l’une a voulu conquérir l’autre, mais encore une incompatibilité profonde, semblable à celle qui les sépare des Maures et issue de la même source, la différence de civilisation.

Il y a cependant un trait commun entre les Arabes et les Kabaïles, c’est la division par tribus. Cette organisation sociale, la plus simple de toutes, puisque la tribu n’est qu’une extension de la famille, les Kabaïles en ont hérité des Numides, leurs ancêtres, et les Arabes des patriarches de la Bible, leurs pères. Il faut que cette organisation soit bien persistante de sa nature ou bien propre au génie de certaines races, pour avoir survécu, chez les Kabaïles et les Arabes, à ce qui unit le plus les hommes, la résistance contre l’étranger et l’association pour la conquête. Et cependant c’est ce qui est arrivé. Ni la triple lutte qu’ils ont eu à soutenir contre les Romains, les Arabes et les Turcs, ni la nécessité puissante de conserver leur indépendance, après l’avoir sauvée, n’ont pu réunir, et fondre en un corps de nation les tribus kabaïles. Une race qui aurait eu à quelque degré l’instinct de l’unité se serait du moins concentrée sur un seul point du territoire, afin de rendre compacte la résistance. Les tribus kabaïles ne semblent pas même y avoir songé ; elles avaient combattu ensemble, mais chacune pour leur compte ; elles sont restées chacune sur le terrain qu’elles avaient pu défendre, sans s’inquiéter si des populations étrangères s’interposaient entre elles. Elles ne s’étaient point fédérées pour la résistance, elles ne se sont point fédérées après ; elles sont restées ce qu’elles étaient, de simples clans, indépendans l’un de l’autre, toujours prêts à se faire la guerre, se la faisant assez souvent et pour les motifs les plus légers, sans assemblée, sans chef, sans lien politique connu, susceptibles cependant d’être momentanément réunies pour un but commun ou par l’influence passagère d’un homme, mais se séparant bientôt et retournant toujours à l’indépendance et à l’isolement. Tels sont les Kabaïles ; tels aussi, et plus certainement encore, sont les Arabes. Le fanatisme religieux, l’entraînement de la conquête, l’ivresse du triomphe, la nécessité de la résistance, rien n’a pu effacer, chez les Arabes de l’Algérie, l’instinct de leur race et les habitudes de leur patrie. À peine maîtresse de l’Afrique, l’armée qui les avait réunis, se dissout en tribus ; les tribus se divisent en factions : tribus et factions se font la guerre. Il n’y a pas un sultan, il y en a dix ; chaque coin,