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chaque ville de l’Algérie a le sien. Ces chefs éphémères se disputent les tribus, qui passent à chaque instant d’un parti à un autre, toujours indépendantes, jamais fidèles. Aujourd’hui, elles entourent l’un de ces chefs : il est tout-puissant ; les villes lui ouvrent leurs portes, ses compétiteurs fuient. Demain, un caprice a tout changé : les tribus ont déserté ; il se trouve seul, obligé de fuir à son tour et de cacher sa tête. Tel est le spectacle que présente l’histoire de l’Algérie depuis l’invasion arabe jusqu’à la conquête turque. C’est un orage éternel et confus à travers lequel on ne démêle qu’une chose, c’est que cet orage est la conséquence du caractère arabe, et surtout de la division par tribus. Ce caractère n’est pas changé, cette organisation sociale subsiste. Quoique marqués d’un cachet national très prononcé, les Arabes de l’Algérie ne forment pas plus une nation que les Kabaïles. De part et d’autre, les élémens existent ; mais le lien politique manque, et l’indépendance des tribus, enracinée par l’habitude, est un obstacle immense à ce qu’il se crée. Chaque tribu est un état complet, qui a son chef, son armée, son territoire, ses intérêts spéciaux. Cet état n’est que par ses intérêts propres, et tient peu de compte de tout le reste. Il peut être passagèrement entraîné dans un mouvement plus général, et rallié à une entreprise commune à plusieurs tribus, et même à toutes ; mais cet entraînement ne sera jamais durable, parce qu’il blessera tôt ou tard l’indépendance ou l’intérêt particulier de la tribu. La nationalité arabe est un fait ; l’organisation de cette nationalité sous un chef unique, cent fois tentée depuis onze siècles, a toujours été et restera long-temps encore un rêve.

Si, dans des circonstances qui la commandaient si impérieusement et qui la rendaient facile, l’organisation de la nationalité ne s’est produite ni dans la race arabe ni dans la race kabaïle, on doit peu s’étonner qu’il en ait été de même chez les Maures, race mêlée et peu homogène, moralement et numériquement faible, subdivisée d’ailleurs en petites fractions isolées, enfermées dans des villes que séparaient de grandes distances et qu’enveloppaient les populations kabaïles et arabes. Et pourtant ailleurs on a vu des villes isolées se rallier sous l’empire d’un intérêt commun, et former des ligues politiques qui assuraient l’indépendance de toutes. Comment une idée semblable ne s’est-elle jamais présentée aux villes de l’Algérie ? Comment se sont-elles laissé rançonner par les tribus arabes pendant tant de siècles, menacer et prendre par les chrétiens d’Europe pendant le XVIe, opprimer enfin par une poignée de Turcs depuis, sans jamais faire un mouvement vers cette association qui les aurait