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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

sauvées, et que semblaient indiquer aux villes de la côte en particulier les intérêts identiques de leur commerce et la facilité des communications par mer ? Il faut le dire, peut-être y a-t-il des races auxquelles manque ce puissant instinct d’association qui forme les grands peuples. Les tribus sont l’organisation sociale primitive de toutes les races ; cette organisation, la race germaine l’avait dans ses forêts comme la race arabe dans ses déserts ; et cependant, en débouchant sur le monde, la première la dépouille et forme partout de grandes nations, tandis que la seconde y persiste partout, sauf en Espagne où l’unité ne se produit un moment que pour succomber bientôt sous le génie du fractionnement. Quoi qu’il en soit, la race maure a obéi à ce génie, en Algérie, comme les deux autres. On a vu les villes se battre ; on ne les a jamais vues s’allier. Jamais le moindre symptôme de fraternité ne s’est développé entre ces cités, peuplées des mêmes hommes, exposées aux mêmes dangers, livrées à la même vie ; et cet isolement, cette indifférence de l’une pour l’autre subsiste encore aujourd’hui dans toute sa force.

Ainsi ce grand pays pour l’unité duquel la nature n’a rien fait, se trouve partagé par l’histoire entre trois races que tout sépare, et dont la diversité opiniâtre a résisté à onze siècles de juxtaposition. L’unité qui n’est pas dans l’ensemble ne se trouve pas davantage dans les élémens. La division est dans le sein de chaque race, comme elle existe dans la population tout entière. Ni les Kabaïles, ni les Arabes, ni les Maures, ne sont organisés en corps de nations et soumis à une unité politique. Il y a autant d’états kabaïles que de tribus kabaïles, autant d’états arabes que de tribus arabes. Le pays se prête merveilleusement à cet ordre social. Il isole physiquement ce qui l’est déjà moralement. Il offre à chacune de ces fractions indépendantes de peuple, une fraction indépendante de territoire ; il parque les populations, au lieu de les rapprocher. Les villes à leur tour vivent chacune de leur vie propre sans se soucier des autres. Il n’y a que des élémens en Afrique, il n’y a point d’agrégations.

Un lien, cependant, mais un seul, unit ensemble ces populations, le lien religieux : toutes sont musulmanes. Comment les Kabaïles le sont-ils devenus, n’ayant jamais été subjugués ? Cette transformation étonne, s’il est vrai, comme il est difficile d’en douter, qu’ils fussent chrétiens à l’époque de la conquête arabe. Les races qui savent défendre leur indépendance n’ont guère coutume d’abandonner leur religion, encore moins de l’échanger contre celle de leurs ennemis, surtout quand celle-ci est inférieure à la leur ? Cette conversion des