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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

rôle d’armateurs appartenait aux Maures, et en temps de guerre, tous ces vaisseaux, qui ne coûtaient rien au dey, et tous ces équipages exercés à la course devenaient la flotte de l’état. Voilà pour les Maures. Quant aux Arabes et aux Kabaïles, les Turcs les jugèrent bien en ne les craignant pas. À mesure qu’ils purent s’emparer des villes de l’intérieur ou de la côte, ils allèrent hardiment, quoique en petit nombre, s’y établir. Nulle part les habitans maures ne leur refusèrent obéissance ; partout, au contraire, ils se rallièrent à une force qui les protégeait. Une fois établis dans les villes, les Turcs ne se laissèrent pas effrayer par les nombreuses coalitions qui se formèrent au commencement, et se renouvelèrent de loin en loin par la suite, pour les en chasser. Le cas survenant, ils fermaient les portes, et laissaient ces orageuses et impuissantes nuées de cavaliers se dissoudre. Opposant à des efforts toujours éphémères une action soutenue et persévérante, ces garnisons isolées, mais formant autant de corps disciplinés et compactes, ne tardèrent pas, par leurs excursions rapides et imprévues, à imprimer autour d’elles la terreur et le respect. En soumettant les tribus d’alentour par la destruction des moissons et l’enlèvement des troupeaux ; en agissant par celles-ci sur les plus éloignées ; en n’exigeant que l’hommage et le tribut de celles qui se soumettaient, et en exerçant d’impitoyables vengeances contre celles qui résistaient ; en jetant le poids de leur alliance dans toutes les guerres entre les indigènes, et en les suscitant quelquefois pour les terminer ; en se portant partout arbitres dans les questions de territoire, et en punissant les populations qui négligeaient de recourir à leur juridiction ; en instituant ainsi une espèce de force supérieure et souveraine planant sur celle des tribus, et à laquelle les faibles pouvaient avoir recours et demander une justice inconnue jusqu’alors, et bienfaisante quoique grossière, les faibles corps turcs, épars sur cet immense territoire, liés entre eux et obéissant comme un seul homme à une seule impulsion, finirent peu à peu par apparaître aux naturels du pays comme les véritables et légitimes souverains de la Régence, et par exercer sur toute sa surface une partie des attributions qui s’attachent à ce titre.

Ces attributions, sans doute, étaient assez restreintes ; elles ne consistaient guère que dans le droit de juger les différends entre les tribus, de les appeler aux armes et de les commander en cas de guerre étrangère, et de lever sur chacune un impôt en argent ou en nature. Sans doute encore, bien des tribus échappaient chaque année à cet empire, et peut-être même ne pénétra-t-il jamais que très acciden-