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tellement dans certains cantons kabaïles. Mais, avec toutes ces imperfections, il n’en était pas moins avoué et reconnu, et il l’était surtout à cause de ces imperfections. Le bon sens de cette domination consistait à ne vouloir que ce qui était possible. Ce qui importe aux Arabes et aux Kabaïles, ce qui est profondément enraciné dans leurs mœurs et dans leurs habitudes, c’est le gouvernement, c’est l’organisation patriarcale de la tribu ; c’est là l’arche sainte, à laquelle il ne faut pas toucher. Tant que vous ne pénétrerez pas dans cette organisation intérieure, tant que vous la laisserez intacte, chaque tribu continuera de se croire indépendante, et s’inquiétera assez peu de vous payer une redevance, d’aller à la guerre sous votre drapeau, de vous voir intervenir dans ses différends avec les tribus voisines : tout cela en effet lui est extérieur, et elle y est accoutumée ; car, aux époques même les plus anarchiques, il y a toujours eu en Algérie quelque pouvoir supérieur, auquel les tribus se ralliaient. Seulement ce pouvoir était divisé et éphémère ; il y avait autant de sultans que de villes, et ces sultans étaient à chaque instant égorgés et remplacés par d’autres. Ce que les Turcs comprirent, c’est que par leur union ils pouvaient se substituer à toutes ces souverainetés partielles et orageuses ; ils le voulurent et ils y réussirent, et ce succès fut avantageux aux tribus, parce que l’unité de domination produisit la paix. Mais ils se gardèrent bien d’entreprendre davantage ; ils se contentèrent du pouvoir qu’avaient exercé les maîtres indigènes, et auquel les populations étaient accoutumées ; ils respectèrent le gouvernement des tribus et leur indépendance intérieure. C’est à cette réserve dans le but qu’ils durent de réussir : à coup sûr ils auraient échoué, s’ils avaient voulu davantage.

Tels furent les principes de la domination que quinze mille Turcs exercèrent pendant trois siècles sur l’Algérie. Ces courtes notions contiennent d’utiles enseignemens pour la France, dans l’entreprise qu’elle a formée d’y établir la sienne.

La passivité de la race maure, son génie et ses habitudes mercantiles, l’isolement des villes dans lesquelles elle est répartie, font qu’elle appartient à qui occupe ces villes. Entrez dans ces villes, soumettez-les à un impôt régulier, et laissez aller, en la surveillant, l’administration municipale établie : elles seront à vous ; elles vous devront un ordre stable au dedans, la sécurité contre les invasions du dehors. Ce sont deux bienfaits qui vous les réconcilieront d’abord et vous les attacheront ensuite, mais à deux conditions toutefois : la première, que vous respecterez la religion, les mœurs, la propriété