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Outre ces fêtes qu’on peut appeler mythologiques, quelques-uns des successeurs d’Alexandre donnèrent à grands frais des fêtes que la bassesse de leurs inclinations fit tomber dans la classe des bouffonneries et des farces comiques. Ainsi Antiochus, roi de Syrie, que Polybe, au lieu d’Épiphane (illustre), a surnommé si justement Épimane (insensé), jaloux des éloges donnés aux jeux que Paul-Émile avait fait célébrer en Macédoine, résolut de surpasser la magnificence du général romain. À cet effet, il convoqua à Daphné les Grecs de toutes les villes. Les fêtes qu’il donna durèrent trente jours, et il dépensa en cette occasion une partie de son trésor, fruit de ses exactions et du pillage d’un grand nombre de temples. Et cependant, malgré l’or, l’argent, les tapis, les parfums, les animaux rares, les statues, les peintures, les richesses de tous genres qu’il prodigua sans mesure, il ne sut faire de cette pompe et de ces jeux qu’une bouffonnerie immense. Il faut lire dans Athénée[1] comment, monté sur un méchant cheval, il se montrait sur tous les points du cortége, faisant avancer les uns, retenant les autres. Il fit dresser pour les repas dont il accompagna ces jeux jusqu’à quinze cents lits. Lui-même dirigeait tout le service. Il se tenait à la porte de la salle, introduisant ceux-ci, plaçant ceux-là. Il précédait les officiers qui apportaient les plats, changeant son rôle de roi contre celui de maître d’hôtel. Il parcourait la salle, s’asseyait ici, se couchait là. Quelquefois il quittait brusquement les mets ou la coupe qu’il avait à la main, se levait d’un bond, visitait toutes les tables et recevait debout les santés qu’on lui portait. Il poussa même l’oubli de son rang jusqu’à se mêler aux jeux des baladins chargés d’égayer les convives. Un jour, entre autres, que le banquet s’était prolongé et qu’une partie des personnes invitées se retiraient, les bateleurs apportèrent le roi enveloppé dans un drap et le posèrent à terre comme un des leurs. Alors la symphonie se fit entendre, et Antiochus, comme éveillé peu à peu par le bruit des instrumens, se mit à s’agiter, à sauter, à folâtrer au milieu des acteurs, si bien que tous ceux qui furent témoins de ce honteux spectacle, se retirèrent confus et en rougissant[2].

Un autre roi de Syrie, Antiochus de Cyzique, ne montra pas dans le choix de ses plaisirs des inclinations plus royales. Non-seulement il avait une passion désordonnée pour les mimes et les bouffons, mais il étudiait leur métier avec une application extrême. Ce qu’il y eut de plus singulier, ce fut son amour extravagant pour les marionnettes. Le passe-temps favori de ce prince était de faire mouvoir lui-même des figures d’animaux, hautes de cinq coudées et recouvertes d’or et d’argent[3]. Et pendant qu’il s’amusait ainsi puérilement à faire manœuvrer ces poupées, son royaume était dépourvu de toutes les machines de guerre qui font la gloire et la sûreté d’un état.

  1. Athen., lib. V, pag. 995, D.
  2. id., ibid., pag. 194, C, seqq., et lib. X, pag. 439, B, seqq. ex Polybio.
  3. Diod. ; Excerpta de virtut. vit., tom. II, pag. 606, 607.