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ORIGINES DU THÉÂTRE.

ROI DU FESTIN.

Il se jouait dans presque tous les grands repas grecs une sorte de petit drame que je dois au moins signaler. On élisait un président ou roi du festin, auquel tous les convives étaient tenus d’obéir. La coupe qu’il ordonnait de boire était la coupe de nécessité[1]. Ce roi du festin reçut dans l’époque républicaine le titre de symposiarque. Dans les pique-niques et dans les repas par tribu, tels que les Apaturies, on l’appelait éranarque. Quelquefois les convives accusaient le roi du festin d’excès de pouvoir et de tyrannie. Il n’était même pas sans exemple qu’on se déclarât en pure démocratie. Plutarque a consacré un chapitre entier de ses Questions de table à la recherche des qualités que cette magistrature exigeait. Souvent les invités conféraient par acclamation cette dignité au maître du logis, d’autres fois celui-ci décorait de ce titre le convive le plus illustre ; mais le plus ordinairement le sort faisait le roi du festin, comme on le voit par un mot attribué à Agésilas. Les insignes de cette royauté joyeuse étaient une couronne de fleurs.

CRONIES. — PÉLORIES. — ESCLAVES SERVIS PAR LEURS MAITRES.

C’était aussi des espèces de drames domestiques que les fêtes grecques où les esclaves jouaient pour un temps plus ou moins court le rôle d’hommes libres et quelquefois celui de maîtres. On lit dans un fragment des Annales du poète L. Accius :

« C’est un usage général en Grèce, et particulièrement à Athènes, de célébrer en l’honneur de Saturne des fêtes nommées Cronies. Soit aux champs, soit à la ville, ce jour se passe en joyeux festins. Chacun, comme nous le faisons à Rome, traite avec bonté ses esclaves. C’est d’Athènes qu’est venu l’usage de ces banquets où les serviteurs sont assis à la même table que leurs maîtres[2]. »

Cette coutume était également reçue en Crète. Le jour des Hermées, ou fêtes de Mercure, les maîtres y servaient les esclaves à table. À Trézène il y avait une fête semblable. Les esclaves, pendant un des jours qu’elle durait, s’attablaient et jouaient aux osselets avec leurs maîtres[3]. Enfin, en Thessalie, on célébrait une fête du même genre sous le nom de Pélories, en mémoire d’un tremblement de terre qui avait assaini la vallée de Tempé, heureuse révolution dont un esclave, nommé Pélore, apporta la nouvelle aux Pélasges. Pendant ces fêtes on mettait les prisonniers en liberté, on faisait des sacrifices à Jupiter et l’on dressait des tables où les esclaves étaient traités et servis en hommes libres[4].

L’idée de cette comédie domestique paraît venir de Perse. Bérose, dans le premier livre des Babyloniques, et Ctésias dans le livre second des Persiques, mentionnent une fête appelée Sacée, où l’on voyait la même interversion

  1. Plaut., Rud., act. ii, sc. III, v. 33.- Je suis l’explication de Turnebe, adoptée par Mme Dacier.
  2. Accius cité par Macrobe, Saturn., lib. I, cap. VII, pag. 233, ed. Bipont.
  3. Carystius cité par Athen., lib. XIV, pag. 639, B, C.
  4. Baton de Sinope cité par Athen., ibid., E.