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Macao est on ne peut plus pittoresque. Il n’a rien sans doute de bien imposant, puisque les collines qui protègent la ville s’élèvent à peine à cent ou cent cinquante pieds ; mais toutes ces collines couvertes de maisons élégantes et d’arbres verts qu’on a forcé cette terre stérile à nourrir, les forts blanchis à la chaux qui couronnent les hauteurs et sur lesquels flotte le drapeau portugais, donnent à Macao une physionomie riante, que dément bientôt malheureusement la réalité, quand on parcourt les rues de la ville.

J’étais encore tout occupé à contempler cette cité européenne, la seule dont la politique chinoise permette l’existence sur le territoire de l’empire, lorsque mon bateau jeta l’ancre. L’eau de la baie de Macao était trop basse pour qu’une embarcation d’une certaine grandeur pût s’approcher du rivage. Je vis au même instant se détacher de la rive cinq ou six bateaux de passage, chacun forçant de rames pour arriver le premier. Ces bateaux étaient tous conduits par deux ou trois femmes. La baie de Macao renferme plusieurs centaines d’embarcations semblables. Cette population industrieuse ne connaît point d’oisifs ; femmes et enfans, tout le monde travaille. C’est à peine, en effet, si la terre peut suffire aux besoins des nombreux habitans, et une famille pauvre est obligée d’employer tous ses momens, toutes ses ressources, pour ne pas mourir de faim.

Je pris place dans un de ces bateaux, et mon bagage fut transporté dans un autre. Mon attention se partagea bientôt entre la vue de la ville, qui se déployait devant moi, et le costume des batelières. J’avoue que ce costume m’avait d’abord un peu surpris. En voyant leurs tuniques bleues, leurs capuchons rabattus, je fus au moment de les prendre pour des moines de Saint-Francois ; mais mon erreur cessa quand je les vis de plus près, et qu’échauffées par l’exercice de la rame, elles relevèrent leurs capuchons. Leur chevelure noire était rassemblée sur le derrière de la tête, en une grosse tresse qui se relevait vers le sommet ; de longues aiguilles d’or l’attachaient et la réunissaient. Leurs jambes nues et leurs bras étaient entourés de gros anneaux d’argent ou de verre. Il y avait de la coquetterie dans cet ajustement, qui se distinguait d’ailleurs presque généralement par une excessive propreté. La vie rude et laborieuse de ces femmes n’avait point altéré la délicatesse de leurs formes, leur teint seul était légèrement bruni par le soleil. Je ne pus m’empêcher de faire une comparaison entre ces Chinoises et les femmes d’Europe dont la vie est occupée à des travaux pénibles ; le résultat, je dois le dire, fut loin d’être à l’avantage de ces dernières. Les Chinois appellent ces femmes, qui appartiennent à une caste particulière, tang-kia ou tang-kar (œufs de poisson). Cette caste vit constamment dans ses bateaux ; elle ne peut habiter la terre ; jamais elle ne pénètre dans l’intérieur des villes ou des terres, ses villages se composent d’un certain nombre de vieilles barques élevées sur des pieux le long du rivage. Les hommes sont occupés à la pêche ; les femmes et les enfans les accompagnent ou gagnent leur vie en conduisant les bateaux de passage. Je dois ajouter que ces pêcheurs sont loin d’être renommés pour la pratique des vertus patriarcales : les hommes sont d’habiles voleurs ou de dangereux pirates, et les femmes mènent, du moins dans l’établissement de Macao, une vie très irrégulière.