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UN VOYAGE EN CHINE.

La seule belle rue de Macao est la plage ; on l’appelle Praga-Grande ; c’est une rangée de belles maisons européennes, qui s’étendent le long d’un quai bien bâti, sur un espace d’environ un mille. Ces maisons appartiennent toutes aux négocians anglais établis à Canton ou à de riches Portugais. De cette rue principale s’échappe une foule de petites rues étroites et montueuses. Dans l’intérieur de la ville, on trouve quelques belles maisons, quelques églises et d’autres monumens ; la construction de ces édifices annonce que la colonie a eu ses jours de richesse et de prospérité. Toutefois la plus grande partie de Macao ne consiste qu’en de misérables masures. Au centre de la ville européenne est situé le Bazar ou la ville chinoise. C’est un tissu, si je puis m’exprimer ainsi, de petites rues d’une toise de large, bordées de chaque côté de magasins et de boutiques. Ce quartier de Macao est entièrement chinois, et quelqu’un qui n’aurait vu que ce bazar pourrait se former une juste idée des villes de l’empire céleste, car on m’a assuré qu’elles étaient toutes bâties sur ce modèle. Ce que je puis affirmer, c’est que le quartier marchand de Canton, le seul qu’un Européen puisse visiter, ne diffère en rien du bazar de Macao.

Il y a peu de chose à dire de Macao, considéré comme ville ; ses édifices publics ne méritent point un examen détaillé. La grotte de Camoëns, située au sommet d’une haute colline, peut seule attirer l’attention des étrangers, non comme monument, mais par le souvenir illustre qu’elle rappelle. C’est là que l’Homère portugais, pauvre et exilé, composa sa Lusiade. Je ne manquai pas d’aller faire mon pèlerinage à la grotte de Camoëns. Le lieu auquel on donne ce nom a subi sans doute bien des changemens depuis l’époque où le poète allait y puiser ses sublimes inspirations. C’est maintenant un rocher nu, d’une vingtaine de pieds de haut, sur le sommet d’une colline. Une des faces du rocher présente une excavation de deux ou trois pieds de profondeur, qui forme une espèce d’auvent ou de toit. En face de l’excavation s’élève un autre rocher qui la protége contre le vent et la pluie. C’est dans l’espèce de couloir établi par la nature entre ces deux rochers que s’asseyait et qu’écrivait Camoëns. Aujourd’hui, la barbare admiration de ses compatriotes a défiguré cet asile du génie ; le banc naturel de la grotte a été taillé au ciseau ; on a été jusqu’à blanchir à la chaux les parois du rocher ; au-dessus du banc, on a aplani la surface du roc, et on y a gravé quelques vers français en l’honneur de Camoëns. Un élégant belvédère a été construit au sommet de la colline, et, s’il était permis de pardonner une semblable profanation, on serait disposé à l’indulgence en admirant le magnifique panorama qu’on a devant soi. La peinture pourrait trouver dans ce lieu d’aussi belles inspirations que la poésie. Macao tout entier, les îles innombrables qui l’entourent, tel est le paysage qui s’offre au voyageur placé sur le belvédère. On distingue les deux ports, couverts de bâtimens portugais, de jonques chinoises, de bateaux de pêche, de jonques mandarines ou de guerre, dont les cent pavillons flottent au gré du vent. En face de Macao, on aperçoit le Taïpa, ou port destiné aux bâtimens étrangers. Ce port est fermé par deux îles qui, se réunissant à une de leurs extrémités, ne laissent qu’un étroit passage par lequel les navires se rendent dans la mer de Chine. Plus loin