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de lui rendre plus faciles les sacrifices qu’il doit faire pour arriver à la réforme des abus ; qu’il prenne bien garde de manquer le but, en voulant y arriver trop vite. Ce n’est pas dans une société aussi vieille que la nôtre que les améliorations comme celles que réclame notre situation commerciale peuvent s’obtenir brusquement. Non, il faut, pour cela, autant de persévérance, de modération et de sagesse, que d’habileté et de courage.

Je reviens au commerce étranger en Chine. Le commerce anglais éprouve aujourd’hui dans ce pays une crise dont on peut difficilement calculer toutes les conséquences, lesquelles seront nécessairement très graves. Les dernières mesures prises par le gouvernement chinois rendent impossible, pour quelque temps du moins, le commerce de l’opium. Or, ce commerce avait une valeur annuelle de cent vingt millions de francs ; cette somme servait à payer, ou à peu près, les thés que les Anglais achetaient en Chine. C’était un commerce qui employait d’immenses capitaux et qui en mettait d’autres bien plus considérables encore en mouvement ; c’était une source d’énormes bénéfices, sur lesquels comptait la compagnie des Indes, et qui vont lui manquer au moment peut-être où elle en a le plus besoin. Si la vente de l’opium intéressait au plus haut point la compagnie des Indes, qui en avait le monopole, elle n’était pas d’une importance moindre pour le commerce anglais en général, qui servait d’intermédiaire à la compagnie. L’opium était vendu en première main par la compagnie des Indes ; le commerce libre devenait acquéreur et réalisait pour son compte de nouveaux bénéfices sur la vente en Chine.

Tout ce mouvement commercial se trouve paralysé, non pas graduellement, comme cela arrive dans une crise produite par une baisse de prix, mais tout d’un coup, sans transition, au moment même où il venait d’acquérir son chiffre le plus élevé. Ce sera donc un coup terrible pour tout le commerce anglais dans l’Inde, car toutes les branches commerciales d’un pays sont, pour ainsi dire, solidaires l’une de l’autre ; on ne peut en détruire une sans nuire essentiellement au reste. Le contre-coup de cette crise se fera sentir, mais moins fortement que dans l’Inde, jusqu’en Angleterre.

L’Angleterre a-t-elle des voies de représailles ? — Aucune.

Une nation n’a que deux moyens de récrimination contre une autre nation, dans le cas où des droits trop élevés ou prohibitifs sont établis par celle-ci au détriment du commerce de la première. Ces moyens sont la guerre ou des mesures analogues contre les produits du pays dont on a à se plaindre.

Commençons par le dernier de ces moyens : l’Angleterre peut-elle réagir contre la Chine, en élevant les droits d’entrée sur les marchandises chinoises qui s’en importent ? Non, car cette importation est réclamée bien plus impérieusement par la consommation anglaise que par les intérêts du commerce chinois. Le thé est devenu pour l’Angleterre un article de première nécessité ; il alimente un commerce considérable, et fournit des sommes immenses au trésor par les droits qu’il paie ; le thé influera donc long-temps encore comme une puissante cause de modération sur les mesures que le gouvernement anglais serait tenté de prendre contre la Chine. La suppression totale du commerce