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UN VOYAGE EN CHINE.

du thé n’exercerait d’ailleurs pas la moindre influence sur la détermination du gouvernement chinois ; il sait qu’à défaut de navires anglais, assez de navires des autres nations viendraient acheter les thés chinois. Si on consulte enfin les antécédens de la politique du céleste empire, on sera facilement convaincu que, dût-il faire le sacrifice complet de tous les avantages produits par le commerce étranger, le gouvernement chinois n’hésiterait pas un seul instant à lui fermer ses ports, s’il croyait que ce commerce pût mettre en danger son indépendance, l’intégrité de son territoire, ou la conservation de sa religion et de ses coutumes.

Cette voie étant fermée à l’Angleterre, peut-elle avoir recours à la seule qui lui reste, la guerre ?

Cette question est peut-être plus grave que la première, et je n’hésite pas à dire qu’une guerre avec la Chine est une chose tout-à-fait impossible. Je ne m’étendrai pas très longuement sur les causes qui rendent aujourd’hui une invasion du territoire chinois impraticable, même pour l’Angleterre, malgré sa grande puissance maritime. Les Anglais, mieux que toute autre nation, les connaissent. — D’abord, une semblable guerre aurait pour base un principe injuste. La Chine a toujours été considérée comme tout-à-fait en dehors du code des nations civilisées ; elle n’a et ne veut avoir avec elles aucunes relations, excepté celles qu’il lui convient de permettre. Ainsi elle a autorisé le commerce étranger à venir à Canton, mais elle lui a imposé ses conditions : c’est à lui de voir si elles lui conviennent. Si les nations que la Chine a admises à commercer avec elle veulent lui imposer leurs lois et leurs usages, elle a, je crois, le droit de s’y opposer, et à plus forte raison si ces nations prétendent assigner comme base principale à leur commerce une drogue qui est réellement funeste à la population chinoise, un poison qui l’abrutit et la démoralise. Ainsi, toute agression de la part d’une puissance étrangère quelconque contre la Chine, en raison des mesures que prend ce pays pour arrêter le commerce d’opium, serait, à mon avis, souverainement inique.

Ce serait d’ailleurs plus qu’une injustice, ce serait une grande faute. Rien de plus aisé, sans doute, que de faire une descente sur un point quelconque du territoire chinois, et de s’y établir momentanément ; il suffirait pour cela de quelques milliers d’hommes et de quelques vaisseaux. Mais cet établissement une fois formé, il faudrait le soutenir ; là commenceraient des difficultés sans nombre, dont l’issue inévitable serait la honte de n’avoir pu réussir. Il faudrait d’abord conquérir une assez grande étendue de terrain pour avoir les mouvemens libres et se procurer les vivres nécessaires. Mais le terrain suffirait-il ? Ne faudrait-il pas des bras pour le cultiver ? Il est bien certain d’avance que toute la population se retirerait et laisserait le pays entièrement désert. Il y a quelques années, le gouvernement chinois, pour se débarrasser de quelques pirates, fit brûler une étendue de cent lieues de côtes sur une profondeur de cinq lieues. Que ne ferait-il pas, s’il fallait résister à une agression étrangère ? Il sacrifierait sans hésiter huit ou dix millions de la population de ses provinces littorales.