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ciation. Pour Orgagna, en mettant trois damnés dans la gueule de Satan, il ne pouvait avoir d’autres raisons que de suivre Dante, qu’il a bien réellement copié dans cette fresque du Campo-Santo. Là sont aussi les bolge, grands trous circulaires dans lesquels l’auteur de la Divine Comédie avait plongé les différentes sortes de damnés ; là on voit une figure décapitée, et, comme Bertrand de Born, tenant par les cheveux sa tête sanglante ainsi qu’une lanterne (a guisa di lucerna), expression familière, mais terrible, parce qu’elle est d’une exactitude pittoresque, et fait voir à l’esprit le tableau qu’Orgagna n’a pas craint de reproduire pour les yeux.

Du reste, cette fresque, évidemment retouchée, est loin d’être une des plus remarquables du Campo-Santo ; c’est à Florence, dans l’église de Santa-Maria-Novella, que nous trouverons le même Orgagna couvrant tout un mur de fresques bien plus complètement calquées sur le dessin de Dante.

Dans une autre peinture du Campo-Santo, Buffamalco a représenté l’univers composé de neuf cercles, suivant le système de Ptolémée, et soutenu par les deux mains du Christ, dont la tête s’élève au-dessus du dernier cercle. C’est une alliance du même genre entre les idées chrétiennes et les idées de Ptolémée, qui sert de base à la construction du Paradis. Dante s’élève à la fois de planète en planète, de vertu en vertu, de vérité en vérité, jusqu’au principe du mouvement universel ; arrivé là, il est parvenu à la plus haute manifestation de l’essence et de la trinité divines. Les divers degrés de la contemplation religieuse sont rapportés par lui aux différens cercles imaginés par Ptolémée et placés ici entre les bras du Christ, dominés par sa tête radieuse. Dans les deux cas, même fusion de la science cosmologique du temps et de la pensée théologique[1]. Dans celui-ci, il n’y a pas emprunt fait par le peintre au poète ; il y a chez tous deux analogie d’inspiration. Ainsi Orgagna nous montrait tout à l’heure l’action que la poésie de Dante a exercée sur l’art italien, et Buffamalco nous montre maintenant que l’un et l’autre ont parfois obéi spontanément aux mêmes influences.

Avant de quitter ce musée de sépultures, il faut saluer au nom de Dante celle de l’empereur Henri VII ; ce malheureux Henri VII,

  1. On pourrait citer une foule d’exemples de la même association des idées astronomiques et des idées théologiques. Sans sortir de Pise, dans le cloître de Saint-François, le Christ et la Vierge sont entourés d’étoiles ; sous leurs pieds sont placés le soleil et la lune. Sous le portail du baptistère, un vieux bas-relief qui représente la descente du Christ aux enfers, porte cette légende : Introïtus solis.