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REVUE LITTÉRAIRE.

a reproché, avec plus d’aigreur que de raison, de ne s’être pas assez défendue contre une tendance à la fiscalité littéraire, d’avoir plaidé, en faveur des travaux de l’esprit, la thèse de l’ubiquité du salaire, et d’avoir exposé les ouvriers de la pensée à de fâcheuses assimilations. Le reproche serait juste, et les gens de lettres ne se seraient pas exposés à l’encourir dans une société autrement organisée que n’est la nôtre, dans une société qui se fonderait sur le désintéressement. Mais, au milieu d’un monde où il n’y a de grace pour personne, où tout se base sur le calcul, où tout se meut dans le cercle d’un droit étroit et rigoureux, trancher du grand seigneur, se donner des airs de libéralité, de dévouement, de détachement…, ce ne serait pas seulement une folie, mais encore un ridicule. Le stoïcisme ne doit point tourner en mystification. » On ne peut se mieux exécuter soi-même, vraiment, à l’endroit du reproche de chevalerie, et, pour une association qui procède surtout du cœur, on le met à sa place bientôt. Dans les limites modérées que cette introduction semble reconnaître, et en la prenant plutôt dans sa pensée même que dans son expression officiellement obligée, nous n’aurions que très peu à objecter à la Société des Gens de Lettres. Nous lui accorderions même de dire, en parlant de sa Babel : « Le livre qui suit est, pour le gros des lecteurs, l’un des premiers signes de l’existence de la Société. On lui contestait la faculté du mouvement ; elle a marché. » Volontiers, en effet, on accepterait ce volume comme le specimen des forces littéraires de la Société s’essayant en commun. Il paraît que les profits de la vente sont affectés à la communauté même, et que, dans cette opération en famille, chaque membre, on nous en avertit, a pu faire et a fait du désintéressement. Serait-il bien injuste de dire qu’on s’en aperçoit un peu ? La pièce de M. Hugo vaut sans doute beaucoup de ses autres pièces du même genre ; mais, en la détachant de son portefeuille, il n’a pas songé à donner une des plus saillantes assurément. La Consultation de M. de Bernard n’est qu’une agréable bagatelle, jetée tout-à-fait sous jambe, comme on dit. La personne qui semble avoir pris le plus au sérieux cette production désintéressée est, assurément, l’honorable M. Viennet, qui, dans un Voyage aux Pyrénées orientales, a donné vers et prose à l’instar de Chapelle et Bachaumont, avec ce goût de gros sel qui lui est particulier et avec cette générosité en toutes choses qui ne marchande pas.

Tout ce volume, enfin, qui ouvre une ère d’association nouvelle, n’est qu’assez inférieur aux premiers volumes de ces illustres Cent-et-un que le libraire Ladvocat sut très bien recruter pour son compte, avant que l’unité morale fût inventée.


Annales des imprimeries des Estienne, par M. Ant.-Aug. Renouard père[1]. — Si M. Jules Renouard n’hésite pas à se faire l’éditeur de la Babel, en revanche son père continue ses sérieuses et méritoires entreprises ; on est heureux d’avoir ce consolant contraste. Cela nous reporte aux Estienne. M. Renouard y travaille depuis maintes années. Son Catalogue d’un amateur et ses Annales aldines lui avaient déjà donné une très notable place dans la science bibliographique, science utile et qui, dans son ensemble, a beaucoup plus de portée philosophique qu’on ne le pourrait croire, science estimable et rare de nos jours… surtout chez les bibliothécaires. La nouvelle publication de M. Re-

  1. Deux vol. in-8o, chez Jules Renouard, rue de Tournon, 6.