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que son lieutenant au département de la guerre. On l’a moins dit plus tard : le goût de faire à sa guise, de commander, prend à tout le monde. Quoi qu’il en soit, c’est entre le ministre titulaire de la guerre et le maréchal Valée qu’ont lieu ces rapports ordinaires, inévitables, qui placent le second sous les ordres du premier, qui doivent déplaire au gouverneur-général, et qui expliquent ce qu’on a souvent dit : — que M. le maréchal Valée règne et gouverne en Afrique, qu’il en fait à sa tête, et que sa subordination se borne à demander des secours et à raconter ce qu’il a fait. Il importe à la France qu’il y ait dans la guerre d’Afrique unité de pensée et de direction ; il importe que toutes les instructions qui arrivent à M. le gouverneur-général portent une signature devant laquelle il n’est pas de gloire militaire qui ne s’incline. Nous ne savons pas si nos désirs sont d’accord avec les dispositions de ceux qui peuvent les satisfaire ; mais nous avons l’intime conviction que ces désirs sont conformes aux intérêts de la France et du pouvoir.

À propos de la levée de boucliers d’Abdel-Kader, on s’est beaucoup occupé du vif désir qu’a le prince royal de rejoindre sur le champ de bataille cette armée d’Afrique dont il a déjà partagé la gloire et les dangers. Tout a été dit sur ce point, et nous ne voulons pas revenir sur une question qui n’en est pas une. Le prince royal, nous le dirons brutalement, ne s’appartient point. — Il ne voudrait pas qu’un coup de fusil fût tiré contre des Français, sans y être et avoir sa part de danger. — La France le sait, elle applaudit à son courage, à son ardeur, à sa passion des belles et grandes choses ; elle se rappelle son désespoir de cette expédition de Constantine où il voulait être, et où, bien malgré lui, il ne put se rendre, le ministère du 15 avril s’étant, avec justice et fermeté, refusé à pareille responsabilité. À plus forte raison son départ serait aujourd’hui une question de cabinet. Père d’un enfant au berceau qui doit être roi, le prince royal ne peut exposer la France aux dangers d’une régence, pour se donner le plaisir d’échanger des coups de fusil avec les Arabes, et de galoper sur les traces des hordes errantes d’Abdel-Kader. Dans l’expédition de Constantine, du moins, il y avait un but fixe et déterminé, une ville forte, une ville renommée qui nous attendait. Quelle sera notre lutte avec les Arabes révoltés ? Qui le sait ? Notre armée aura-t-elle le bonheur de pouvoir atteindre l’ennemi en forces, de pouvoir lui livrer une bataille ? C’est fort douteux. C’est une campagne dont le succès définitif est sans doute certain, mais qui n’est pas moins pleine d’inconnu. Elle peut se terminer dans quelques jours, comme elle peut se prolonger pendant plusieurs mois. Peut-être y aura-t-il de gros combats, peut-être aussi n’y aura-t-il que des escarmouches, des marches et des contre-marches, des villages brûlés, des douairs ravagés, et quelques villes abandonnées, désertes, à occuper.

Quoi qu’il en soit, la place de l’héritier de la couronne est en France, et non dans les marais de l’Algérie ; elle est ici, entre le trône de son père et le berceau de son enfant ; par sa présence, il les défend l’un et l’autre. C’est aussi du courage : si ce n’est le courage instinctif des combats, c’est le courage de la réflexion, de l’homme d’état, d’un prince habile, marchant d’un pas ferme