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ESPARTERO.

Telle a été en résumé la vie militaire d’Espartero ; nous en avons dit rapidement le fort et le faible. S’il s’est montré timide comme général en chef, il n’a du moins jamais été vaincu, et aucun de ses pas en avant n’a été suivi d’un pas en arrière. Sa manière n’est pas celle des grands capitaines, mais elle n’en mène pas moins au succès, lentement et sûrement. L’esprit espagnol n’est pas toujours tourné à l’enthousiasme ; il a aussi une forte tendance au bon sens le plus vulgaire. C’est cette dernière qualité que représente Espartero. Malgré l’exagération pompeuse de quelques-unes de ses proclamations, il n’a rien de grand ; il a réussi par les petits moyens. Du reste, cette partie de sa carrière paraît terminée, et nous avons maintenant à le suivre sur un autre théâtre où il doit figurer exclusivement désormais, la politique. Cette dernière épreuve décidera du rang qu’il occupera dans l’histoire.

Les hommes politiques de l’Espagne constitutionnelle se divisent, comme on sait, en deux grands partis connus sous le nom de parti exalté et de parti modéré. Les exaltés sont les révolutionnaires ardens, ceux qui veulent pousser l’Espagne le plus loin possible dans les voies démocratiques ; les modérés sont, au contraire, les hommes de la résistance, ceux qui, tout en adoptant les idées modernes, veulent en limiter l’application. Les exaltés espagnols sont en très petit nombre, mais ils ont pour eux l’énergie, l’audace, la persévérance et cet entraînement qui s’attache par tout pays à quiconque se présente comme l’apôtre par excellence de la liberté et du progrès. Les modérés s’appuient au contraire sur la presque totalité de la nation, que les expériences politiques fatiguent ; mais ils manquent d’organisation, d’habileté, et surtout de cette initiative vigoureuse qui a fait triompher, sous M. Casimir Périer, le juste-milieu français.

Dans cette situation, aucun des deux partis n’a pu parvenir jusqu’ici à dominer complètement en Espagne. L’activité des exaltés tient en échec les forces supérieures des modérés, et leur fait subir de temps en temps de cruelles défaites. D’un autre côté, la masse modérée pèse sur les exaltés, et triomphe lentement par son inertie de leurs plus violens efforts. L’histoire d’Espagne depuis sept ans n’est pleine que d’actions et de réactions. Quand les modérés tiennent le pouvoir, les exaltés finissent toujours par le leur enlever dans un coup de main hardi, et quand les exaltés semblent le plus près de l’emporter, leur victoire est d’abord atténuée, puis peu à peu détruite par le sourd travail des idées modérées. Tous les pays constitutionnels sont soumis à ces oscillations de pouvoir ; mais nulle part elles ne