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peut apprécier surtout cette heureuse influence de M. Percier, c’est dans les travaux produits au sein de son école et à son exemple. Le palais Massimi, de M. Haudebourt, les palais de Gênes, par M. Gauthier, ceux de Florence, par MM. Grandjean et Famin, ceux de Rome, par M. Letarouilly, la villa Pia du Vatican, par M. J. Boucher, les Œuvres de Vignole, par MM. Debret et Lebas, tous élèves de M. Percier, sont autant de résultats de son enseignement, et l’on pourrait dire autant d’expressions de son génie ; ce sont, en tout cas, des œuvres qui ajoutent à la gloire du maître autant qu’elles honorent leurs auteurs.

Pour suffire à tant de travaux, pour satisfaire aux devoirs d’une école qui s’accroissait d’année en année, et où se pressaient une foule d’hommes attirés par la renommée du chef de tous les points de l’Europe comme de la France, il fallait que M. Percier eût toujours le crayon à la main pour dessiner, et il est certain qu’il s’était rendu cet instrument si familier, que, pour lui, dessiner c’était enseigner, c’était bâtir, c’était vivre. C’est par là que M. Percier appartient à l’école de ces grands architectes de la renaissance, Bramante, Serlio, Palladio, Vignole, Pirro Ligorio, qui nous ont laissé tant et de si beaux dessins, qu’on s’étonne, à voir ces dessins, qu’ils aient tant construit, et qu’on ne s’étonne plus en les voyant qu’ils aient produit des monumens si parfaits. Mais, pour chercher plus près de nous un exemple qui rende ma pensée plus sensible, je dirai que M. Percier, toujours armé de sa plume dans toutes les circonstances de sa vie, produisait des dessins comme La Fontaine des fables, sans y montrer le moindre effort, sans presque paraître y penser, tant il y apportait d’aisance et de grace, en même temps que de soin et de goût. C’est qu’en effet il y avait, entre notre inimitable fabuliste et notre grand architecte, quelque chose de commun qui se révèle aux admirables vignettes composées par M. Percier pour la magnifique édition du La Fontaine de M. Didot. Dans ces petits tableaux, où la main qui restaura la colonne Trajane et qui acheva le Louvre, met en scène des philosophes de toutes sortes, animaux et personnages, le cadre est tracé avec tant de goût, les accessoires sont si bien adaptés au sujet, et l’architecture répond si bien à l’action, que la fable entière se retrouve dans la vignette. Il y a de la malice et de la bonhomie, de la philosophie et de l’esprit, dans cette architecture faite à l’usage des animaux, où le paysage a toujours un sens, les fabriques toujours une moralité ; l’artiste s’y montre réellement fabuliste à sa manière, comme le poète.