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Dans les fragmens qui restent de l’enseignement de M. Royer-Collard, nous le voyons acquiescer à la théorie de Maine de Biran sur l’origine de la notion de la cause, et sur le jugement primitif qui transporte à toutes les causes extérieures les caractères que la personnalité trouve en soi. Mais M. Royer-Collard n’en est pas moins resté fermement attaché à la méthode de Reid.

M. Cousin déclare qu’il adopte la doctrine de Maine de Biran sur l’identité du moi ou de la personnalité avec la volonté, et sur l’origine de l’idée de la cause. Mais en même temps, à ce qu’il nous semble, par les restrictions qu’il lui impose, il la dénature et l’annule. D’abord il se refuse à admettre que l’effort soit la source unique où la volonté humaine puisse acquérir la première connaissance d’elle-même. Il suppose une organisation seulement nerveuse, dépourvue d’organes de mouvement, et il affirme que la volonté s’y produirait et s’y reconnaîtrait encore : hypothèse que Maine de Biran avait prévue et réfutée d’avance. Le moi ne se révèle originairement à soi-même que dans son contraste avec ce qui n’est pas lui. Or, le moi ne reconnaît ce non-moi qu’à la résistance qu’il rencontre. C’est ainsi, comme M. Cousin lui-même le dit quelque part, « que l’esprit nous est donné avec son contraire, le dehors avec le dedans, la nature avec l’homme. Supprimez les conditions du mouvement, et par conséquent le mouvement, plus de résistance, plus de non-moi, plus de moi, et la conscience de la volonté est impossible. — En second lieu, M. Cousin se refuse à admettre que l’intelligence conçoive toute cause à l’image du moi, c’est-à-dire comme une force intelligente et libre, et, pour tout dire, comme un esprit. Ici M. Cousin ne s’écarte pas seulement, comme il paraît le croire, de l’opinion de Maine de Biran et de M. Royer-Collard ; il s’écarte formellement de la doctrine écossaise. Reid prononce sans hésiter, et il prouve, ce nous semble, que nous n’avons aucune idée d’une puissance intellectuelle qui diffère en nature de celle que nous possédons, et qu’il en est de même de la puissance active. « Si donc, ajoute-t-il, quelqu’un affirme qu’un être peut être la cause efficiente d’une action et avoir la puissance de la produire, bien qu’il ne puisse ni la concevoir ni la vouloir, il parle « une langue que je ne comprends pas[1]. »

Quelques restrictions que M. Cousin croie encore devoir mettre au principe fondamental de Maine de Biran, il semble qu’il y a quelques années une nouvelle étude des doctrines de ce maître l’a amené à en

  1. Œuvres, traduction française, pag. 355 et suiv.