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beaux, de ce qu’on leur jette, ressemble à celle des chiens et des esclaves gardiens de la porte qui insultent leur maître.

« Un misérable Kchattriya est le gardien de la porte des brahmanes. Comment celui qui se tient à la porte serait-il admis à manger la nourriture du maître ? »

Puis l’enfant du brahmane prononce cette imprécation :

« Dans ce jour, un serpent suscité par moi anéantira ce contempteur des lois, ce brandon de sa race qui nous a fait injure. »

Bientôt le roi se repent de son crime, et désire l’expier par la mort ; il va sur les bords du Gange attendre, entouré de pieux solitaires, que la malédiction qu’il a méritée s’accomplisse, et s’écrie : Adoration en tous lieux aux brahmanes !

Plusieurs passages des Pouranas n’expriment pas moins que la malédiction de l’enfant citée plus haut un sentiment d’aversion et même de mépris pour la caste guerrière des Kchattriyas, quelquefois même certains passages semblent faire allusion à d’anciennes luttes entre les Kchattriyas et les brahmanes oubliées par l’histoire, mais qui semblent obscurément indiquées dans la tradition par les luttes de différens dieux et de différens cultes ; tel est celui-ci :

« La race des Kchattriyas, que le destin avait multipliée pour le malheur du monde[1], cette race qui opprimait les brahmanes et qui avait abandonné la vraie voie, devait sentir les douleurs de l’enfer ; le héros magnanime aux forces terribles déracina vingt et une fois, avec sa hache au large tranchant, cette épine de la terre. »

Rien ne donne une plus haute idée de la grandeur et de la puissance des brahmanes que le récit suivant[2]. Des brahmanes se présentent à la porte du palais des dieux. Deux personnages divins (devas), gardiens du seuil, les repoussent avec injure. Les brahmanes condamnent ces dieux à descendre sur la terre. Ceux-ci se reconnaissent coupables, et acceptent le châtiment qui leur est infligé. Ce n’est pas tout. Vichnou, le dieu suprême, va trouver les brahmanes et leur fait, on peut le dire, les plus humbles excuses. « Je regarde, leur dit-il, comme faite par moi-même l’injure que vous avez reçue de mes serviteurs… Je me couperais moi-même le bras si ce bras s’était opposé à vous[3]… Qui donc, ajouta-t-il, ne supporterait pas

  1. Bhâgavata Purâṇa, pag. 53.
  2. id., pag. 421 et suiv.
  3. id., pag. 433.