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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

les brahmanes, quand moi je porte sur mon aigrette la poussière de leurs pieds ? » L’imagination la plus complaisante ne saurait faire davantage, pour l’apothéose des brahmanes, que de prosterner le créateur à leurs pieds.

Tels sont les principaux traits qui peuvent caractériser les Pouranas, et par eux les Hindous ; mais le travail nécessaire pour donner l’intelligence de ces curieux monumens, si l’on n’y prenait garde, tromperait sur leur nature. Afin de faire connaître les Pouranas, j’ai considéré successivement dans les deux qui étaient à ma disposition les différentes matières qu’ils traitent, les différens aspects philosophiques et poétiques qu’ils présentent. On est bien obligé de faire ainsi, de décomposer ce qu’on étudie ; mais, ce travail accompli, il faut se retourner vers l’œuvre patiemment analysée, et l’embrasser dans son ensemble, car jamais tous les élémens de la pensée ne furent à ce point fondus et soudés les uns dans les autres. La poésie des Pouranas a tous les caractères du panthéisme qui l’inspire, une profonde unité de laquelle tout émane, et à laquelle tout revient aboutir, et en même temps une variété infinie de formes toujours changeantes, toujours renouvelées.

Cette poésie, comme le panthéisme indien, est tour à tour et presque en même temps empreinte d’un grossier matérialisme et d’un idéalisme raffiné : l’idée et le symbole, la réflexion et l’imagination, l’abstraction et les images sensibles, sont amalgamés dans cette composition désordonnée. On croit entendre parler tour à tour, ou plutôt tous ensemble, un métaphysicien, un poète et un prêtre, et quelquefois un enfant. Les peintures théologiques sont employées pour exprimer des idées philosophiques ; les conceptions les plus hautes interviennent dans des récits fantastiques ou même puérils. Rien ne saurait, je crois, donner du génie indien une idée plus complète que la lecture d’un Pourana.

Si je voulais revenir, en terminant, sur les diverses phases de la littérature sanscrite que j’indiquais au commencement de cet article, je pourrais trouver dans l’Inde elle-même l’image des produits littéraires qu’elle a enfantés. L’austère simplicité et l’immuable durée des Vedas seraient figurées par les rochers de l’Himalaya, qui dominent tout, indestructibles, immobiles, et ne portant sur leur tête nue que le ciel étoilé. Les deux grands fleuves qui roulent parallèlement leurs eaux à travers la terre indienne offriraient une image assez ressemblante des deux vastes épopées, le Ramayana et le Ma-