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DU GOURVERNEMENT REPRÉSENTATIF.

le sait aussi bien que moi, la chambre élective est, sinon hiérarchiquement, du moins en réalité, le premier des pouvoirs, celui qui, lorsqu’il a une volonté, est certain de la faire prévaloir. La chambre élective ne possède cette grande puissance qu’à titre de représentation fidèle des vœux et des intérêts du pays. Or, comment voir la représentation réelle et sincère des vœux et des intérêts du pays dans un corps qui ne recevrait ses inspirations que de quatrième main ? Les élections à plusieurs degrés ont toujours été un moyen à peu près infaillible d’éteindre et d’amortir l’esprit public. C’est ce qui fait qu’instinctivement elles sont acceptées par presque tous les ennemis du gouvernement représentatif, combattues par presque tous ses amis. Mais le système de M. de Carné a quelque chose de bien plus fâcheux encore, c’est que chacune des assemblées qui forment les divers degrés de l’élection, sont, en outre, investies de fonctions propres, et qui, par elles-mêmes, ont une importance toute spéciale. Or, tout le monde comprend que l’on peut choisir, comme membre d’un conseil municipal, d’un conseil d’arrondissement d’un conseil de département, telle personne dont on ne partage pas l’opinion politique, et que l’on ne choisirait pas comme électeur. De ces deux caractères, lequel prévaudra, lorsqu’on sera appelé à donner sa voix ? Si c’est le premier, il en résultera que l’élection sera faussée ; si c’est le second, que les corps intermédiaires dont il s’agit prendront, au détriment de la bonne gestion des affaires, une couleur exclusivement politique. Il est même probable que les deux inconvéniens se réuniront, et que l’on aura à la fois de mauvais conseils et de détestables électeurs.

Il est une autre réforme plus sérieuse et plus praticable dont M. de Carné ne paraît pas éloigné ; c’est celle qui réunirait au chef-lieu tous les électeurs de chaque département. Cette réforme, assurément, aurait l’avantage de donner à l’élection un caractère plus politique, et de diminuer notablement l’espèce de patronage local qui tend à faire des députés les hommes d’affaires incommutables d’un petit nombre de commettans. Je ne sais cependant si cet avantage compenserait suffisamment les graves inconvéniens du scrutin de liste, et de toutes les combinaisons auxquelles il peut se prêter. Quant à l’adjonction de certaines professions libérales à la liste électorale comme à la liste du jury, j’en suis d’avis pour ma part, et je comprends difficilement qu’on s’y oppose. Mais personne ne pense qu’il en résulte dans les habitudes électorales, dans la composition de la chambre et dans la