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LE PORTUGAL.

basse, que personne ne put l’entendre, et les assistans remarquèrent qu’au lieu de poser la main sur le livre des Évangiles ; il s’appuyait sur la manche du patriarche de Lisbonne.

Débarrassés de cette importune cérémonie, les absolutistes agirent plus librement : les honnêtes gens furent maltraités dans les rues et assaillis par des bandes armées de bâtons dont le nom de cacetes a acquis une si funeste célébrité ; on pouvait reconnaître les soldats du 30 avril, si leur chef n’osait encore se montrer à leur tête. Dans l’intérieur même du palais, les personnages les plus considérables étaient menacés par les soudoyés de la reine. Tous les fonctionnaires fidèles furent destitués, et bientôt après les cortès dissoutes. Les hommes que leurs principes et leur courage désignaient à la haine des apostoliques furent obligés, ainsi que leurs femmes et leurs parens, de chercher un refuge à bord des bâtimens de guerre étrangers ; ils furent contraints d’abandonner patrie, famille et fortune, pour sauver leur vie. Les témoins eux-mêmes ont peine aujourd’hui à se retracer le déchirant spectacle que présenta Lisbonne pendant ces mois d’angoisses, de fourberie et de capricieuse terreur. Don Miguel gouvernait nominalement au nom de la charte et de la reine, et cependant il y eut des ministres nommés par l’infant, le comte de Villaréal par exemple, qui furent forcés de fuir le Portugal à cause de leur fidélité à doña Maria. On était traité de rebelle pour être soupçonné de partager les sentimens qu’affichait l’infant. La prison, l’exil ou la mort menaçaient indistinctement tous ceux qui n’appartenaient pas à la faction de la reine Charlotte.

La présence des troupes anglaises empêchait de détruire la dernière ombre de légalité ; mais le gouvernement britannique, qui avait envoyé cette force au secours des constitutionnels, venait de faire décider par don Pedro la régence de don Miguel, et le général Clinton, interrogé sur le parti qu’il prendrait dans le cas d’une insurrection, avait répondu qu’il défendrait la personne du prince. Le 25 avril, après avoir détruit toute chance de succès pour les libéraux, les Anglais, dont la position devenait fort embarrassante, se retirèrent sous prétexte que le Portugal n’avait plus rien à craindre de l’Espagne. Alors la reine Charlotte et l’infant ne dissimulèrent plus aucun de leurs projets ; ils violèrent ouvertement la charte. De prétendues cortès furent convoquées d’après les anciennes formes, et chargées de proclamer la légitimité de l’infant.

On a dit que don Miguel avait été appelé au trône par le vœu spontané de la nation : c’est confondre trop aisément les clameurs de la multitude avec les véritables sentimens du peuple. En Portugal comme partout, il s’est trouvé des voix pour applaudir à tous les régimes. Des acclamations semblables à celles qui accompagnèrent l’arrivée de l’infant avaient accueilli la promulgation de la charte de don Pedro. Il était dans les destinées de la nation portugaise qu’une constitution conquise par le peuple fût renversée par le peuple, et qu’une charte octroyée par un prince fût détruite par un prince. Qui ne voit que la masse ne doit être comptée que pour ses souffrances, et que la question se décida par les princes ? Les constitutionnels n’avaient plus l’héritier légitime