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La recherche des épices orientales donna lieu aux deux plus grands évènemens qui aient marqué l’histoire des progrès matériels de l’humanité, la découverte de l’Amérique et celle d’une route maritime aux Indes par le cap de Bonne-Espérance. Le succès de l’expédition de Vasco de Gama eut pour résultat de changer immédiatement le système commercial du monde entier, système assujetti depuis trois mille ans à la même direction, et de faire passer la civilisation, les richesses et la prépondérance politique à d’autres nations que celles qui en avaient eu jusqu’alors le privilége. Quatorze ans après leur départ de Lisbonne, en 1497, les Portugais recueillaient leur premier chargement d’épices sur les lieux même où la nature les produit.

Le prosélytisme religieux et cet esprit chevaleresque qui les poussait aux plus aventureuses entreprises, furent les principaux mobiles qui les dirigèrent dans la conquête de l’Orient. Les bénéfices du négoce ne venaient pour eux qu’en seconde ligne ; néanmoins l’esprit de liberté qui présida à leur système de colonisation donna à leurs établissemens commerciaux un degré de prospérité inouie. La ville de Malaca, dont Alphonse d’Albuquerque s’était emparé en 1511 après un combat sanglant, devint le siége de leur puissance et le théâtre de la lutte qu’ils soutinrent contre les souverains d’Atcheh, dont la capitale, située à la pointe nord-ouest de Sumatra, s’élève de l’autre côté du détroit comme la rivale de Malaca. En nous retraçant les détails de cette lutte, les écrivains portugais énumérèrent les ressources maritimes et militaires qu’y déployèrent ces princes indigènes, et qui attestent l’immensité de leurs richesses. Des quatre flottes qu’ils envoyèrent contre Malaca, la troisième comptait plus de cinq cents embarcations, dont cent étaient des galères plus grandes qu’aucune de celles construites jusqu’alors en Europe et portant chacune de six à huit cents hommes et un train considérable d’artillerie. Et ce qui montre que les historiens portugais n’ont en rien exagéré l’opulence des rois d’Atcheh, c’est le témoignage de l’écrivain arabe Ebn-Batouta sur l’importance et l’étendue du commerce dont leur port était le centre, et l’empressement avec lequel les souverains de l’Europe sollicitèrent plus tard leur alliance. Élisabeth, reine d’Angleterre, écrivait au roi d’Atcheh, son très cher frère, une lettre conservé encore dans les archives de Londres, avec la réponse du roi d’Atcheh à son très cher frère Jacques Ier, qui lui avait envoyé une ambassade.

Le succès des Portugais enflamma l’ardeur des Espagnols à s’ouvrir eux aussi, l’accès des pays aux épices ; mais c’est par une autre