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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.


Mangez-le. De grand cœur, ami, je vous le donne ;
Mais gardez, en l’offrant, d’y jeter votre sel ;
Assez pour la table bretonne
Mêlent au pur froment un levain criminel.

Si quelque nain méchant fendait votre bombarde,
Faussait l’anche, ou mettait du sable dans les trous,
Vous crîriez ! — Ainsi fait le barde.
Le juge peut m’entendre : Ami, le savez-vous ?

Pourtant je veux la paix. — Pour les jours qui vont suivre
Ce triste hiver, voici ma nouvelle chanson ;
Que vos sacs se gonflent de cuivre ;
Bien repu, chaque soir, rentrez à la maison.

Des forêts à la mer poursuivez votre quête ;
Qu’on redise après vous les Conscrits de Plô-meûr ;
Ne chantez pas à pleine tête,
Faites pleurer les yeux et soupirer le cœur.

L’espèce d’hymne intitulé l’Aleatico, dans laquelle le barde, comme enivré de ce vin exquis, s’écrie avec délire que, s’il était le grand-duc, il en boirait dans un grand vase étrusque, me paraît exprimer assez bien la qualité de ce recueil même, l’effet sobre et chaud de plus d’une pièce savante : deux doigts de bon vin cuit dans un grand vase ciselé. On a fini, et l’on en voudrait encore ; il est vrai que, s’il y en avait davantage, on en demanderait toujours plus.

L’inspiration bretonne, même là où elle est le plus présente, ne communique à la poésie de M. Brizeux aucun des caractères qu’on est accoutumé à attribuer aux muses du Nord. Partout chez lui le contour est arrêté, la ligne définie. Le poète se considère comme un Breton venu du Midi et qui y retourne. Il a même le Nord en aversion ; il en écraserait la fleur sous ses pieds ; dans deux jolis couplets à M. Marinier, il exhale tout son dédain de la mélancolie. Qu’il y ait là une injustice envers de riches et frais trésors, envers tant de vives sources et d’ombrages, sacrés aussi, de la Souabe, nul doute ; mais le poète eut toujours le privilége d’être exclusif, et ici le barde, petit-fils de Guîclan et de Brennus, s’est enivré de soleil.

Tout cependant n’est pas breton ou toscan dans ce volume. La pièce du Vieux Collége nous raconte un touchant retour en quelque ville de Flandre (Arras ou Douai), où le poète fut élevé, et qu’il n’avait pas revue depuis long-temps. Comme Gray visitant son ancien collége d’Eton, il veut revisiter aussi les murs où se passa son enfance. Il entre : le portier est le même et lui fait fête ; mais qu’est-ce ?