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tout d’ailleurs a changé ; le collége est devenu un hôpital. On devine le contraste. Ce cadre heureux fourni par la réalité, le poète l’a simplement et largement rempli ; il est ici dans sa première manière et s’abandonne avec moins d’art à une sensibilité plus facile et plus courante.

Jacques est une belle idée : un pauvre homme du peuple, un maçon qu’on a vu le matin quitter sa femme et son enfant, tombe, ou plutôt se précipite du haut d’un toit, victime d’un dévouement héroïque. M. Brizeux, sensible à ce trait qui passait inaperçu, l’a voulu consacrer. Sa poésie est ainsi toute pleine de bons sentimens qu’il propose, d’idées et de visées qui ennoblissent, d’images qui observent l’austère beauté. S’il nomme souvent l’idéal dans ses vers, il ne fait pas comme plusieurs pour qui ce n’est qu’un grand mot : il n’y déroge jamais. À une nature ardente et passionnée il unit des tons purs. On sent parfois le coursier sous le frein ; quelque chose frémit, et c’est mieux. Quel plus délicat et plus profitable avis que celui-ci qu’il adresse sous ce titre :

À PLUS D’UN.

Dans ton intérêt ne te corromps pas.
Ta jeunesse aima les plus belles choses :
L’art, la liberté, fleurs au ciel écloses,
Épargne ces fleurs tombant sous tes pas.

Obscurci long-temps par une colline,
Ton astre rayonne et prend son essor,
Hélas ! dirons-nous devant l’astre d’or :
L’esprit monte au ciel et l’ame décline.

Dans ton intérêt ne te corromps pas.
Ta jeunesse aima les plus belles choses…

Pour nous à qui, des choses premières, la poésie est peut-être la seule qui n’ait pas fait faute, au moins comme affection, il nous eût coûté de laisser passer ce recueil de M. Brizeux sans en signaler le prix. Nous aurions encore çà et là plus d’une remarque à y faire ; mais l’essentiel est dit, et les points sont touchés auxquels nous tenions. Plus d’une goutte généreuse demeure en réserve, comme il convient, au fond de l’amphore. Et cette poésie-là n’est pas moins à savourer en avançant, que celle des matinées adolescentes, qui se puisait au hasard du courant, dans le creux de la main.


Sainte-Beuve.