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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/304

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le caractère à peu près exclusif de la langue castillane ; on s’est trompé : connaissez-vous rien de plus vibrant et de plus rapide que ces paroles de colère proférées par Munio avant d’abandonner le corps déjà refroidi de sa fille, au moment où les cymbales appellent les chrétiens au combat ?

« ..........¡ Grato
Será a mis ojos el estrago ! ¡ Bella
La matanza será ! Victimas pide
El bárbaro dolor que en mi se ceba,
Y esta mano que mancha sangre illustre,
Se ha de lavar en sangre sarracena !
 »

Alfonso Munio a obtenu un succès immense, un succès qui rappelle la représentation des plus belles pièces de MM. de Rivas, Hartzembusch, Gil y Zarate et Zorrilla. Les dramaturges eux-mêmes ont accueilli avec enthousiasme la jeune fille qui, la première de son sexe en Espagne, vient prendre fièrement sa part des gloires et des fatigues poétiques. Ceci s’explique d’abord par la spontanéité généreuse du caractère espagnol, qui n’est guère accessible aux jalousies basses, pas même à la jalousie littéraire, et puis, ils ont intérêt, les uns et les autres, à rendre populaire une œuvre qui, pour quelque temps du moins, ramènera le drame dans les voies larges et hautes où l’a fait entrer M. le duc de Rivas. Depuis un an ou deux environ, le public de Madrid s’est refroidi à l’égard des œuvres qui demandent exclusivement leurs conditions de succès à l’art difficile et à une poétique sévère ; il s’est un peu engoué des pièces politiques par lesquelles, à défaut de tribune, les quatre ou cinq partis espagnols se témoignent leurs antipathies ou leurs dédains ; il s’est laissé prendre aux décevans attraits de la comédie bouffonne et railleuse, et, à notre avis, c’est là un malheur pour les lettres renaissantes. Nous ne voulons pas le moins du monde mettre en question le talent et la verve des poètes comiques de l’Espagne actuelle, de MM. Rubi, Breton de los Herreros, Asquerino mais nous croyons que les mœurs, les opinions, les préjugés, les travers de la société de Madrid et des villes principales, ne comportent point encore la vraie comédie. Les meilleures intelligences étaient découragées au point de se résigner, pour vivre, à traduire comme par le passé nos drames les plus médiocres ; quatre jeunes poètes, rudement éprouvés déjà, fort connus dans la Péninsule, et parmi ceux-là don Juan-Eugenio Hartzemhusch lui-même, avaient eu besoin de se réunir pour transporter sur une des scènes de Madrid le triste Laird