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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/305

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LE THÉÂTRE MODERNE EN ESPAGNE.

de Dumbicky ; quelques autres, et, parmi ceux-ci, don José Zorrilla, l’auteur d’el Zapatero y el Rey, (le Savetier et le Roi), retombaient dans les plus vieilles exagérations du romantisme. Les horreurs systématiques de la Copa de marfil (la Coupe d’ivoire), de don José Zorrilla, représentée en mai dernier au théâtre d’el Principe, ne le cèdent en rien, assurément, à celles de la Tour de Nesle ou de Richard Darlington. Alfonso Munio, c’est là son plus saisissant mérite, arrêtera le public sur la pente facile qui aboutit au faux goût et à la décadence précoce ; l’action d’Alfonso Munio est énergique et simple comme dans la tragédie grecque, et, si l’on nous autorise à parler ainsi, une comme l’état social que l’Espagne révolutionnaire entreprend aujourd’hui de fonder. Les fantaisies de l’esprit, les élans du cœur, les caprices de l’imagination, qu’il est d’ailleurs impossible de proscrire et de contenir en Espagne, sont relégués dans les méandres fleuris et rayonnans du style et dans les mille détails du dialogue. Tel est le genre qui, à l’heure présente, peut sérieusement prospérer au-delà des monts, et voilà pourquoi la jeunesse d’élite, à Madrid, n’a voulu voir de la pièce que les beautés incontestables, voilà pourquoi elle a fermé les yeux sur les défauts : l’invraisemblance de certaines situations, la raideur de certains caractères, les fréquentes inégalités du style, la jeunesse de Madrid a tout excusé. Pour nous, qui vivons bien loin de l’atmosphère sympathique où peu à peu se relèvent et s’épanouissent les lettres espagnoles, de ce milieu ardent où l’avénement radieux d’une femme jeune et belle ranimera l’émulation poétique si inquiète ailleurs et si haineuse, comme autrefois sur les champs de bataille de Léon ou de Castille les graces vaillantes de Berenguèle exaltaient le courage des infanzones et des chevaliers, on nous pardonnera, nous l’espérons, de nous montrer un peu moins indulgent.

Les situations du drame sont fortes et pathétiques ; nous regrettons seulement que le poète ne se soit pas attaché à les ménager un peu mieux. Les scènes s’enchaînent sans trop s’expliquer ni se déterminer les unes les autres ; elles se succèdent comme les journées dans les montagnes de Catalogne, toutes pleines de vie et de soleil, mais séparées par des nuits profondes. L’action est une et simple, et nous avons déjà dit que, pour nous, c’est là une qualité réelle ; l’unité, la simplicité, ne perdraient rien pourtant, nous le croyons, à ce que cette même action fût un peu plus neuve. Que, dans un pays comme l’Espagne, on se défie de l’imagination, des écarts où elle peut entraîner, nous sommes loin d’y trouver à redire ; mais lui couper tout-à-fait les ailes,