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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/636

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REVUE DES DEUX MONDES.

Antonio Gil y Zárate a successivement marqué dans les trois écoles : dans l’école classique où il a produit une comédie charmante, dans l’école romantique qui lui doit une de ses conceptions les plus audacieuses, et dans celle qui a salué Guzman el Bueno comme un éclatant hommage à ses sympathies pour Tirso de Molina et Calderon.

Don Guzman el Bueno est une des quatre pièces dont la poésie espagnole contemporaine est à bon droit le plus fière ; de l’un à l’autre bout de la Péninsule, le Don Guzman est aussi populaire que le Don Alvaro de M. le duc de Rivas, los Amantes de Teruel de M. Hartzembush, el Zapatero y el rey de M. Zorrilla. Le principal personnage de M. Gil y Zárate est le plus glorieux ancêtre de l’illustre famille des Médina-Cœli ; dans leur palais de Barcelone, les ducs de ce nom montrent encore la devise adoptée par leurs pères, en souvenir de l’héroïque dévouement qui forme le sujet du drame de M. Gil y Zárate : Patriam liberis prœferre parentem decet, — à sa patrie un père est tenu de sacrifier ses enfans. Don Guzman est gouverneur, sur les côtes d’Andalousie, d’une ville qu’il a prise sur les Arabes, à la tête de ses vassaux. Au premier jour, les Arabes, refoulés jusqu’à Grenade, reviendront en force pour essayer de reconquérir leur boulevard maritime, la riche et fière ville de Tarifa. Don Guzman se prépare à la plus opiniâtre résistance, et comme il se propose d’associer désormais son fils don Pedro à tous ses périls et à toutes ses fatigues, il convoque au palais écuyers et ricos-hombres ; en leur présence, il arme lui-même don Pedro chevalier. Dans les pièces de M. Gil y Zárate, c’est toujours la première scène qui est la plus imposante. On a pu s’en convaincre par le dialogue de Charles II et de Froïlan, qui ouvre Don Carlos el Hechizado : le prologue de Don Guzman el Bueno nous paraît plus saisissant encore et de beaucoup par la noblesse des caractères et la force de la situation.

Nous avons été sévère envers M. Gil y Zárate à propos de son drame ; aussi, nous l’espérons, notre opinion ne paraîtra point irréfléchie ni suspecte, si nous affirmons que Don Guzman est la meilleure épopée dramatique que les siècles chevaleresques de l’Espagne aient jusqu’à ce jour inspirée. Les personnages historiques de ce moyen-âge de l’Espagne, si violent et à la fois si loyal, y reprennent tous leur physionomie hautaine ou mélancolique et leurs véritables allures. On reconnaît dans don Guzman le haut baron qui sait bien quelle responsabilité lui impose la part qu’il exerce de la souveraineté féodale, et poursuit la mission chrétienne par la lance comme le prêtre par la parole ; on aime dans doña Maria, la mère pieuse et vaillante qui, aux